Sortir, Benoît Conort
Sortir, Champ Vallon, mai 2017, 112 pages, 13,50 €
Ecrivain(s): Benoît Conort
Le prologue mis en place par Benoit Conort dans son dernier opus poétique a pour incipit l’infinitif « consentir » associé à un espace et à un langage qu’il faut à la fois apprivoiser et mieux connaître. La parole personnifiée, puisqu’elle est « nue », résiste et précipite le paradoxe entre deux thèmes signifiés par les adverbes-titres « Dedans » et « Dehors » qui encadreront le titre de la partie III, « Jardins ».
La partie I comprend trois volets dont le premier confirme par son titre « l’ombre et sa nuit » l’emploi du ton initial. Ses textes hésitent entre une brièveté qui arrive à louer le corps, une parole prolongée qui s’articule jusqu’au manque d’air : « il n’y a plus de vent » et une confidence douloureuse plus longue à travers le récit au rythme haché d’une guerre ou pire d’un génocide : « de la poussière s’élève / de la poussière danse / dans la lumière des machettes ».
La solution est-elle dans « La chambre » comme l’indique le titre du volet 2 ? Tout le long de ce passage, l’éclatement de la mise en page en elle-même est un appel à l’envol, à la respiration, à la liberté. Des marques d’humour sont également à remarquer : la décomposition des mots en syllabes qui peuvent former à elles seules un vers unique, la trace d’une ligne en pointillés et l’anaphore « En radio ». Car le poète, comme il l’a dit lui-même, aime « multiplier les expériences », « dé-ranger » l’écriture en brouillant la syntaxe déjà obscurcie par les parenthèses : « (pourquoi pas heures) heures (donc) peut-être cinq minutes / peut-être (quoique davantage) peut-être moins / minutes a ». Preuve qu’avant le repos il faut « marcher / dans cette nuit », surpasser la confusion entre le toi et le moi. Alors dans le bleu et le rouge peut briller le soleil.
Le doute cependant fait encore bégayer la pensée quand cinq textes sur deux pages parlent de « radio », de « tête de squelette » et de mort qui « rôde ». Rien, en effet, n’est résolu puisque le dernier vers « perdu jardins là où je » est une façon syncopée de traduire un désarroi proche de l’aphasie évoquée à la page II de l’épilogue, de façon synesthésique, à propos de la vue.
Le lecteur n’est donc, en aucun cas, surpris par le titre du volet 3, « Le délabrement de la nuit », image elle-même redondante du mal-être que reprend, dès la première page, le superlatif « ombres de l’ombre ». Le malaise est bien devenu double : « le / pantelant corps crie / dans la nuit il / s’évanouit ». C’est là enfin qu’intervient, paradoxale, « cette voix qui ne sait / ni crier ni cesser » et que l’infinitif éponyme du titre accompagné de conseils pratiques et de la question-clef « sortir comment ? » devient essentiel.
Le substantif « Jardins (d’hiver) », titre de la partie II, illustre cette nécessité enfin exprimée par une étape tout d’abord transitoire entre le « dedans » et le « dehors » qui, pour Jésus, fut celui, avant son arrestation, de « Gethsémani ». Le jardin apparaît ainsi comme un endroit de souffrance. Et « il arrive qu’on y consacre / toute sa vie / sans répit » même s’il faut le quitter pour avancer de nouveau « dans la nuit animale ».
Le deuxième ensemble de cette partie « Jardins d’hier » où l’adverbe du titre fait paronomase avec « hiver » autorise enfin le poète à trouver une certaine paix et à se soustraire à l’absurdité des contraires grâce à l’harmonie de la nature : « Le ciel est le ciel. L’herbe est l’herbe »… « Pour cette fois le temps continue ». Cesse alors l’état de tension au profit de la simplicité et du poétique : « des nénuphars guettent les reflets de lune ». Description et narration alternent pour mettre en évidence la vie retrouvée, d’un côté la vie physique puisque « le corps parfois pose son poids », de l’autre la vie sociale que résume l’énumération, proche du name dropping, des autochtones. Le passé contribue à la définition de ce nouvel état avec l’évocation du puits et de sa margelle, de « l’aire ancienne qui bat le grain » et du four à pain.
Une chute pour terminer : des vaches « ruminent » ; ici et maintenant.
La dernière partie, « Dehors », s’ouvre de façon logique en même temps que « la grille du jardin » mais « est-ce piétiner encore ? » surtout s’il faut affronter le noir. A moins que « le jardin continue ». Car il n’y a plus l’espoir que l’injonction mallarméenne « là-bas fuir » reprise ici laissait entendre et le lieu où aller est bien au cœur de la question.
La réponse laisse celui qui s’interroge sans une possibilité d’issue puisque, l’ordre des mots de nouveau malmené, il écrit : « ce vers quoi l’on penche / celui-ci n’a / de nom pas » et qu’il n’a plus qu’à boire la posca comme le Christ sur la croix. Cette seconde référence chrétienne préfigure l’impasse du constat final qu’exprime l’oxymore : « sortir est effraction » quand il n’y a pas d’écoute à l’« effroi » et qu’il ne faut pas compter sur la présence des étoiles.
Le message de Benoît Conort, si l’on applique sa réflexion à l’écriture poétique, semble se résumer en un seul mot : le silence. Deux vers en forment, en effet, la conclusion : « tant de voix dehors / quoique si peu de musique ». Car, dit l’Epilogue, malgré la danse, la ville reste de nuit, le mot est une souffrance et un danger quand, « pourtant », existe toujours l’audace d’être dehors.
France Burghelle Rey
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