Solombre, Florence Noël (par Patrick Devaux)
Solombre, éditions Le Taillis Pré, avril 2019, 96 pages, 14 €
Ecrivain(s): Florence Noël
Il existe une force de persuasion comme il existe une force de dissuasion. C’est ce que révèle, notamment, Florence Noël activant le soleil et l’ombre dans la même idée jusque dans le titre de son évocation.
La maturité de cet auteur touche au sublime dans l’entrechoc des idées, exactement à la charnière où tout pourrait basculer dans un sens ou dans un autre, avec, en direct, des images suggérant une humanité très immédiate : « tes murs sont peints au café froid/ grande table, une seule chaise/ personne/ n’a l’adresse de ta demeure ».
Ainsi « faudrait-il (il faudrait) de la blancheur/aux lèvres soudoyées à l’ange/ annonciateur de faim ».
Le corps se fait vertige à rejoindre ainsi les grandes œuvres humaines (« crisse le papier de soie sous la voûte du pied »).
C’est que l’ombre sert doublement au refrain des mots : « oui je viens payer mon dû à l’ombre/ sans visage/ et de ton visage embrasser/ la clarté ».
La protection de l’instant est initiée par une subtile évocation de la nature à protéger le surgissement : « ta parole s’emmure/ dans le bourgeon serré/ d’un désir réfractaire ».
Des faits de société sont de ci de là dénoncés car « nous tordons les mots/ dans nos langues éponges/ fermente l’encre des/ assassins », la nuit étant « bée/ aux âmes de piètre/volonté ».
La poète a ici ce sens profond de « sauter la matrice cosmique/ en quête/ d’échouages d’anges ».
Il y a quelque chose d’une veille perpétuelle dans ces mots où « il se murmure/ qu’on va fermer la boutique des obscurités ».
C’est très certainement une manière de se saisir de l’écho de la profondeur d’être et aussi en partage de sève (comme on devient « frère de sang »), la vie se faisant progressive dans l’évolution du recueil, avec une sorte de crépuscule décrit en évolution : « alors la nuit couche son bec/ dans l’herbe/ sa nuque requiert/ du moindre/ la rose/ et le mystère ».
Constat amer : « on meurt trop facilement/ on meurt pour ne rien dire » : rappelant le charnier historique, l’auteur ne s’en remet que difficilement.
A se poser des questions sur son discours, la poète anticipe : « je n’ai rien d’autre/ à vous dire/ que le verbe qui s’écaille/ dans ma main de labeur ».
Observation, silence, chant alternent ainsi « dans le creux d’un sifflet » où « l’air goupille son tremblé puis/ rare s’étiole ».
Finit par éclore une sorte de naissance à travers une maternité attentive y compris à la peur, après avoir soustrait l’espoir aux ténèbres (« nous soustrayons l’espoir à nos ténèbres »).
Avec l’enchevêtrement des saisons, le questionnement subsiste avec autant d’infini que d’incertitude entre croyance non évoquée directement et nature sans concession apparente car « l’hiver… ne lace que/ la fragilité/où nous nous retenons/ de disparaître totalement/ par-dessous les saisons ».
Le style est très particulier forçant le rythme dans ses fissures de manière à se servir des gerçures de mots, d’autant qu’un non-dit évident reste ainsi suspendu sur son fil de corde à linges de mots tranchant l’ombre pour qu’un soleil réchauffe les idées suspendues comme on laisserait sécher au vent une sorte d’oubli inexpliqué avec cet écho qui reste lancinant : « je n’ai rien d’autre/ à vous dire/que le verbe qui s’écaille/ dans ma main de labeur ».
Et, en effet, c’est déjà beaucoup !
Patrick Devaux
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