Solitude des seuils, Angèle Paoli
Solitude des seuils, liminaire de Jean-Louis Giovannoni, Colonna Edition, collection Poésie, 2012, 69 pages, 9 €
Ecrivain(s): Angèle PaoliLisant Solitude des seuils, l’on est tout de suite happé par une poésie d’une grand beauté.
Écoutons :
« Bleu violine la mer
miroir de lumière
ou peut-être de pluie
mirage des mots nus
– mousses odorantes
émaillées de douceur –
enchevêtrements de routes
diluées là-bas
– loin –
sous des cieux indécis
nappes de brume blanche
à perte de regard
– et ton regard
épris de rêves illicites »
Les « mots nus » évoqués au début du poème, ce sont les mots pour dire la nature, embrassée par le regard, en Corse notamment, lors de balades à pied. Mais il ne s’agit pas de dire la nature arrachée au terrain (au terreau) de l’humain, et rendue à son infinitude qui tutoie l’inaccessible. Il s’agit pour l’auteure de dire la nature telle qu’elle est éprouvée, et intimement éprouvée, par l’être. En son plus intime. En son plus profond. Faisant sonner son fond. Lui permettant d’être habité par la note, infiniment modulée, que fait le cœur en contact avec l’évidence déployée de la beauté, de colline en colline, de montagne en montagne, de plage en plage (devant la mer qui « monte à l’assaut du ciel »), d’arbre en arbre (« les arbres dorment repliés / dans l’arrondi de leur silence »), de maison en maison, d’oiseau en oiseau, de bleu en ce qui n’est déjà plus le bleu, tant la mer est ce qui change toujours (« […] les flots / plus noirs plus mauves / non plus noirs »), tant la couleur est ce qui continument se métamorphose, la couleur telle qu’épelée par la lumière qui s’agrippe au crépi des maisons, au babil des sources. Qui s’agrippe et qui glisse. Et qui recommence à jamais le même geste, toujours identique et toujours changeant. À jamais et pour personne.
Mais nous sommes là, nous, pour le cueillir. Avec Angèle Paoli. Et ce jusque sur Terres de femmes(http://terresdefemmes.blogs.com/) jour après jour.
Ainsi, il n’est pas de nature sans l’humain, semble nous répéter l’auteure, de poème en poème. Il n’est pas de nature sans une conscience pour la prendre en son ventre, une conscience reliée (reliée comme le font les étreintes) à un imaginaire revivifié constamment, de balade en balade, par l’idée, à chaque pas effective, de la beauté. La poésie d’Angèle Paoli épouse avec justesse cette jonction musicale entre la nature et l’humain, par quoi toutes les femmes et tous les hommes précisément naissent à elles-mêmes, à eux-mêmes, et existent, dans la plus grande tessiture qui soit, pour ce qui est du dedans, jusqu’à la plus grande hauteur de note possible. Jusqu’à la douleur, à laquelle Angèle Paoli donne également sa place : « Bercer ma souffrance sur la route// la liberté comme une écharde sous la chair / remue un ongle // à peine ».
Jusqu’au désir, jusqu’à l’amour : « je te lis dans ton ombre / et me mire // – en tes évasions secrètes // vertige du désir ».
Jusqu’à cette évidence des corps mêlés par quoi l’indicible soudain se dénoue. Et laisse place à l’instant présent, soudain apparent, désenclavé du passé et du futur, ces gangues.
Si Angèle Paoli donne une grande place à l’amour, c’est justement, peut-on penser, parce qu’il s’agit toujours pour elle d’évoquer dans ses poèmes l’instant présent, – ou plus exactement de lui donner lieupar le poème.
« je cherche l’instant pérenne / qui me détache du passé du futur »
Angèle Paoli jamais « ne raconte […] d’histoire » (« l’imagination fuit / à la dérobée »), sculptant la matière nue du présent et l’exhaussant, par le poème, pour que nous atteigne la justesse de son chant.
Si l’instant présent nous devient accessible par le poème, c’est suite à un travail savant effectué sur la langue, et qui ne tient pas uniquement à la façon qu’a l’image poétique d’être revivifiée de l’intérieur, dans l’utilisation, toujours singulière, qui en est faite. Angèle Paoli utilise les blancs, les signes de ponctuation (/, –), l’italique, pour que nous atteigne la nudité du dire, et que, par elle, par la beauté qui est son élan, nous atteigne le réel, dans la pulsation de son présent. Nous atteigne le réel en plein cœur. Pour que nous vivions. Gorgés de lui. Reprenant la route. Avançant. Et ne faiblissant jamais, ou alors pour nous rendre, littéralement nous rendre (comme l’on dit rendre les armes) devant la fêlure de l’humain qui est, bien que minuscule (demeurant toujours un détail en chaque femme, en chaque homme), notre contrée secrète, pouvant nous contenir entièrement.
Matthieu Gosztola
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