Soleil se mire dans l’eau, Philippe Thireau (Haïkus), Florence Daudé (Photographies)
Soleil se mire dans l’eau, Philippe Thireau (Haïkus), Florence Daudé (Photographies), 2017, 141 pages, 36 €
Edition: Z4 éditions
Poisson sautillant du cœur dans les herbes folles. Que les herbes folles du poème, « prisonnières » délivrées par le Langage, captent dans les « joyeux tourbillons » des saisons. Courts poèmes en capture, comme l’œil photographique en prise sur la « fraîcheur de l’instant ».
Le mouvement saisit d’emblée le réseau des photographies et se tisse dans les mailles des mots pour en faire surgir, comme des ronds dans l’eau, des reflets aux remuements calmes ou plus vifs accordés aux battements du cœur. Cœur qui bat, cœur qui s’ébroue, cœur-soleil ou de nénuphar qui pulse, cœur enfoui sous les eaux et qui saigne, cœur « battant chamade », cœur qui prend l’eau, et qui « surgît »
« De rouge vêtu
Dans l’eau écartée surgît
Cœur ouvert battant »
*
« Flèches de couleur
égarées sous les ramures
Cœur battant s’émeut »
Concentrés dans la force contenue et rythmée du haïku (ce court poème japonais décliné en trois vers de cinq, sept, cinq syllabes), les clichés photographiques œil aux aguets et grand ouvert à l’univers prennent dans le filet des images des bribes du langage, et des sédiments se forment, et des alluvions se déposent au courant de la lecture. Lecture qui, entraînée par le vif condensé des mots, réveille des eaux mortes (celles de l’étang, d’une mare, …). Les saisons ajoutent leurs couleurs, faisant de ce beau livre une succession de « natures vives » saisies dans l’instant, enchantées par un espace-temps onirique qui lui aussi tisse sa toile pour dévoiler et soulever le monde.
« Aube scintillante
La belle endormie s’éveille
Carpe gobe mouche »
*
« Aube rugissante
Connaît les sombres désirs
Des dieux querelleurs »
*
« Soleil meurt à l’ouest
Silencieuse mare écoute
L’Olympe s’endort »
*
« Sommeillent les dieux
Nuit tranquille aux mille feux
Se noie dans la mare »
Les vases communicants ouvrent au partage micro cosmos et macro cosmos dévoilés par l’objectif photographique, univers visible et invisible délivrés par le poème accouplé aux clichés ou fantasmagories de l’image. Une lumière « s’émeut » en même temps qu’elle nous émeut et émerge d’« ombres tremblantes » ébrouées dans la clarté,
« Les ombres tremblantes
Rongent l’ultime clarté
Du soir qui s’émeut »
L’infime infini contenu dans chaque entité cosmique se révèle, ainsi observé et reformulé, par ces tremblements aptes à se réveiller soudainement, à surgir fracassants ou bouillonnants, puissants dans le fluide battant de leur cœur, déchiffrés / délivrés dans l’étincelle durable d’un temps légendaire (au sens étymologique de legenda : « ce qui doit être lu ») surprenant parfois :
« Craquement soudain
Le verglas étincelant
Arrache la nuit »
La dernière photographie du livre s’offre dans la totalité d’un tableau, peut-être est-ce la toile vers laquelle tend ce regard du soleil dans l’eau, comme toute œuvre de création, vers la composition / fragmentation / recomposition d’une partition de l’univers dont nous sommes, chacun(e), à notre heure et dans notre durée, les voyageurs sensibles travaillant à toujours davantage de lumière, rêvant de toucher pour la recréer toujours davantage l’envergure vibrante de ce qui nous entoure. La dimension du réel s’amplifiera des points de vue attentifs de notre regard apte à déchiffrer les eaux troubles, obscures, les sombres desseins du « prince des ténèbres » ; libre à nous de nous accorder au cours du monde, pour y voir plus clair, pour mieux voir ses versants versicolores
« Sous le nénuphar
Vit le prince des ténèbres
Fleur s’épanouit »
Des légendes se recèlent au cœur des êtres et des choses, jusqu’en leur mort et au-delà :
« La lune s’échappe
Des côtes du guerrier mort
Linceul étoilé »
Légendes inscrites dans le souffle secret des souvenirs, dans la survivance parfumée de présences, dans l’éclat de l’absence. Les haïkus de Philippe Thireau et les photographies de Florence Daudé éclairent nos repères habituels jalonnant le labyrinthe cosmique (stellaire, végétal, …) et sentimental, d’une lumière singulière, vibratoire, qui réveille même de son prisme ou focus macroscopique des strates et des strates telluriques, organiques, et des voix lyriques, que l’on croyait inertes ou éteintes et qui se secouent de leur latence pour émerger à fleur des mots dans les reflets miroitants de la réalité. Réel cyclique à toujours suivre dans ses méandres, flux, cascades malgré la fragilité du courant en nos cœurs, de nos cœurs au plus vif ardent du courant poétique, quotidiennement créatif.
Murielle Compère-Demarcy
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