Soleil patient, Gabrielle Althen
Soleil patient, 142 pages, 14 €
Ecrivain(s): Gabrielle Althen Edition: Arfuyen
Dès le texte liminaire, les choses s’inversent : « Le mot arrive / puis il nous dévisage » au moment où la poète, dans l’appartenance à un groupe, réfléchit à une marche collective sans savoir « où va le temps » lui-même.
Des textes apparemment sans lien entre eux ne semblent obéir ni à une structure propre ni à une structure commune et offrent au rythme sa variété. On distingue, à ce sujet, une certaine obéissance au mètre et parfois également à la rime ; des surprises, d’autre part, sont ménagées comme, par exemple, quand deux versets se font face.
L’écriture, contemporaine dans la mesure où elle refuse de se plier au commentaire, ne renonce cependant pas à la beauté sincère de la métaphore : « Des perles manquent au chapelet de la parole » ou aux allitérations et aux assonances : « la foret verte égrène ses vertèbres », « Le val est vert et la saison profonde ». Rythme oblige. Ainsi lit-on encore des chutes qui chantent notamment à l’occasion d’interrogations récurrentes, de questions sur l’être, le temps, l’ailleurs.
Le mystère, en effet, reste parfois entier : « Le sens gît à terre / Mais il ne se voit pas », comme le dit en s’en faisant le témoin, le texte L’Inconnue. C’est le son alors qui fait sens quand dans Consolation le signifiant l’emporte : « L’émoi qui n’est pas moi me cerne et je vacille ». La difficulté même du texte en fait sa valeur et dis-trait, au sens étymologique, le lecteur.
Le rêve d’absolu, d’un autre côté, n’empêche pas ici un certain réalisme. Le vocabulaire souvent concret, au moyen d’images originales, célèbre le quotidien, le corps ou la nature elle-même, en palliant en quelque sorte la dureté des concepts : « Le temps blêmit sur les terrasses de chaleur » ou, plus loin : « Jeune fille ma sœur après la pluie de sa toilette / La liberté fut nue sur la table du jour ». Sont développés aussi des champs lexicaux : « rochers », « pierres », « tessons ».
Au milieu des larmes, une poétique du « sans » s’exprime : pas de lieu et, par là, pas d’évasion : « Je suis le sans-abri », « Ma gare sans départ… », « Absence de visage », « manque des mots ». Le besoin d’« un centre pour aimer » est formulé au cœur de l’œuvre juste avant le texte Oser dont la chute manifeste le désir de vivre. C’est bien le cosmos tout entier qui donne la respiration car « Des mots déjà poudroient dans le soleil » et la poésie qui fait heureusement naître le lieu et ses habitants car elle est elle-même lieu ; son expression sert, malgré tout, de refuge. Avec elle Gabrielle Althen nous offre des protecteurs : « Des anges à manteaux bleus nouent des cordes sur les monts ». Et même si les lilas sont coupés, la joie de vivre est quotidienne : « Chaque jour la parole m’éveille ». La musique qui émane de celle-ci veut être adjuvante et permet ce qui sera la conclusion de l’opus dans quatre vers annonciateurs de la seconde partie Falloir :
« Jusqu’à ce que passée la déchirure
Une machine distribuant par bouts
Ludwig van Beethoven
Use la question et précipite le soleil »
La musique alliée à une lumière « en voyage » est la clef d’un équilibre qui doit se réaliser entre le noir et le blanc ou le rire, entre la vie et la mort, entre aussi – et c’est le vent cette fois « qui interroge » – le chagrin et le roucoulement. Et, entre fatigue et repos, se trouve dans Apprentissage un des plus beaux textes du recueil. Un bain de couleur, aussi, « entre habitable et néant ». Puis il y a le voyage aussi comme Ulysse et le départ sur la mer, elle qui, de façon récurrente dans l’œuvre de la poète, symbolise un trajet avec sa quête : « Et le bateau va vers son immensité », quête à la fois du lieu et de l’intemporel quitte à tuer « le pittoresque ».
Dans la troisième partie, Le troisième jour, un poème antithétique, cette fois encore, entre tristesse et joie, est offert à l’aimé comme une complainte justement de « la fille debout du bord du large ».
Enfin, dans les derniers textes, apparaissent des variations sur les sensations visuelles et auditives avec le regard, la musique, leur lumière et le bleu qui connote la liberté au milieu des autres « couleurs du monde ».
Alors, malgré toujours bien des questions, le chant s’achève, optimiste :
« Ô terre blonde
Quand le fond d’or est byzantin
Toute maldonne se taisant
La mer répète ses baisers »
Lyrisme et spiritualité inspirés par la rencontre, notamment, de Georges Schéhadé, et exprimés au son de la musique de Mozart qui « sourit », sont un rappel du livre précédent La Cavalière indemne et de la première phrase de L’Art poétique qui le clôt : « Mozart sans poids entre deux pleurs a tant aimé le monde qu’il y laissa frémir la place de Dieu parmi les rires ».
Et, véritablement réjouissant, l’excipit justifie le titre : « Et le soleil plus nu se mettra à danser… »
France Burghelle Rey
La raison en est que ce qu’elle distribue, par-delà le vocabulaire qui la fonde, c’est la pulsation du vivre. See more at :
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