Soixante ans de journalisme littéraire, Tome 3, Les années « Quinzaine littéraire » 1966-2013, Maurice Nadeau (par Patryck Froissart)
Soixante ans de journalisme littéraire, Tome 3, Les années « Quinzaine littéraire » 1966-2013, Maurice Nadeau, Ed. Maurice Nadeau, novembre 2022, 1824 pages, 49 €
Edition: Editions Maurice NadeauCe volume impressionnant de 1824 pages est la dernière partie d’une somme réunissant en trois tomes l’ensemble des articles, éditoriaux, portraits, chroniques sociales, biographies d’artistes et critiques littéraires de Maurice Nadeau. Le tome premier, paru en novembre 2018, sous-titré « Les années combat », recueillait les publications de Nadeau de 1946 à 1952. Le second, sous-titré « Les années Lettres Nouvelles », présenté dans le magazine de La Cause Littéraire sous ce lien reprenait les écrits publiés de 1952 à 1965.
Le tome tiers est consacré à la suite de l’œuvre du journaliste littéraire, publiée entre 1966 et 2013, année de sa disparition. Avec l’édition de ce troisième volume, l’intégrale, soigneusement et magistralement reconstituée par Gilles Nadeau, fils du critique, avec l’assistance de Laure de Lestrange, couvre donc désormais l’œuvre d’une vie.
Laissons Gilles Nadeau présenter cette troisième période :
« Ce recueil de 1824 pages offre au lecteur plus de six cents œuvres chroniquées ainsi que cent soixante études et portraits d’écrivains où l’on peut distinguer les noms d’Aragon, Baby, Beauvoir, Blanchot, Breton, Céline, Chalamov, Douassot, Le Clézio, Leiris, Miller, Simon, Sartre, Wolfe. Ils côtoient ceux de Bourdieu, Chamoiseau, Deleuze, Derrida, Eco, Finkielkraut, Girodias, Gracq, Houellebecq, Kundera, Primo Levi, Magris, Mascolo, Michon, Modiano, Samoyault, Schulz, Sciascia, Semprun, Siniavski, Soljenitsyne, Sollers, Spianti, Tabucchi, Zinoviev. Avec les deux premiers tomes parus de Soixante ans de journalisme littéraire, l’ensemble prend la dimension d’un véritable monument littéraire ».
Le présent tome est introduit par une préface très documentée de Tiphaine Samoyault intitulée fort justement « L’autonomie ». Ce titre exprime en effet le statut, la posture éditoriale que se donne Maurice Nadeau lorsqu’il fonde, avec François Erval, La Quinzaine Littéraire, après les années « Lettres Nouvelles » (Tome 2) qui ont été déjà, rappelle la préfacière, « celles d’une libération de la parole, dans tous les champs qui forment le territoire de l’intellectuel : l’écriture, la politique, la prise de position et la prise de risque. Il a gagné son indépendance dans un milieu qui n’aime pas les hommes libres ».
Homme libre, Nadeau le fut jusqu’à sa mort.
L’œuvre fait l’homme autant que l’homme fait l’œuvre.
C’est sans doute ce qui explique que tout ce qu’il a pensé, observé, critiqué, découvert, tout ce qu’il en a écrit, qui traverse la deuxième moitié du XXe siècle et les treize premières années du XXIe, tout ce qui grave textuellement dans le marbre l’histoire littéraire quasiment mondiale de cette vaste période, et dont la somme impressionnante est listée, pour l’ensemble des trois volumes, dans le Sommaire des œuvres chroniquées classées par auteur, figurant à la fin de ce tome trois reste et restera d’une pertinence, d’une authenticité, d’une honnêteté et d’un intérêt qui ne peuvent que perdurer.
« Les temps changent, Nadeau reste.
La longévité de Nadeau ne tient pas seulement à l’âge qu’il avait quand il est mort, mais à cette présence absolue au temps présent qu’il maintient active dans la longue durée. Ses engagements antérieurs – ceux dont témoignent les deux premiers volumes de ses œuvres complètes – en font une référence morale, et sa mémoire prodigieuse ajoute encore à cette valeur de grand témoin. C’est lui que l’on rejoint, au moins autant que son journal, et on accepte de lui la sorte de despotisme éclairé par laquelle il conduit son entreprise, très à l’écoute mais décidant de tout… » (Tiphaine Samoyault).
Nadeau, journaliste et historien, aussi…
Outre ses innombrables chroniques littéraires, sont reproduites dans ce tome et les précédents les analyses, évidemment subjectives mais d’un précieux intérêt, que par son esprit critique et parfois visionnaire il effectue de la société dont il est partie prenante, et dont il suit, accompagne, et observe avec acuité l’actualité et les évolutions morales, politiques, philosophiques, technologiques, ce qui n’est pas sans rappeler les Choses vues, de Hugo.
Quelques exemples dans ce troisième tome :
La France en révolution (1968)
La liberté – Prague (1968)
Qu’est-ce qu’un intellectuel ? (1973)
Sa Majesté le sexe, éditorial (1976)
Le Président de la République et les intellectuels de gauche (1977)
Une « nouvelle philosophie », vraiment ? (1977)
Changement de cap ? Le livre et l’informatique (2000)
Les caricatures du Prophète (2006)
Et, parmi ce foisonnement, extrait du numéro 997, N° spécial de l’été 2009 consacré à « La critique littéraire en question », l’article intitulé « Qu’est-ce qu’écrire ? » en référence à l’interrogation de Mallarmé.
En conclusion, car il faut bien se limiter, on ajustera la fin de la recension du tome 2, publiée dans La Cause Littéraire en 2020 :
Ce tome 3 devra donc forcément figurer, à côté des deux premiers, sur le bureau ou sur les rayons de la bibliothèque personnelle de toute personne s’intéressant à la littérature, à la critique littéraire, à l’histoire littéraire, à l’histoire des idées au XXe siècle.
Annexe : Nadeau, la postérité éditoriale.
Outre le travail remarquable que réalise Gilles Nadeau en recueillant et publiant les œuvres de son père et en perpétuant son travail d’éditeur, on retrouve par ailleurs dans la revue EAN quelque chose de l’esprit et de la lettre de l’œuvre de Maurice.
En attendant Nadeau (EAN)
Le premier numéro d’En attendant Nadeau paraît le 13 janvier 2016. La direction éditoriale, d’abord assurée par Jean Lacoste, Pierre Pachet et Tiphaine Samoyault, est depuis septembre 2022 assurée par Jeanne Bacharach, Pierre Benetti et Hugo Pradelle. À travers En attendant Nadeau, les collaborateurs cherchent à promouvoir une parole critique libre et indépendante, l’objectif étant de parler du monde et de la société de manière réfléchie et argumentée. Pour cela, le magazine réunit des collaborateurs spécialisés dans des disciplines différentes mais conservant un lien étroit avec la littérature. La revue organise, soutient et participe à des évènements en lien avec ses activités littéraires tels que le Salon de la revue ou les Rencontres de MEET (Maison des écrivains étrangers et traducteurs).
Le comité de rédaction est composé d’anciens collaborateurs de La Quinzaine littéraire. Le nom du journal est une référence directe à Maurice Nadeau et à la pièce de Samuel Beckett, En attendant Godot (Wikipédia).
Patryck Froissart
Maurice Nadeau, né à Paris le 21 mai 1911 et mort dans la même ville le 16 juin 2013, est un instituteur, écrivain, critique littéraire, directeur littéraire de collections, directeur de revues et éditeur français. Il est le père de l’actrice Claire Nadeau et du réalisateur et éditeur Gilles Nadeau.
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