Si tu vas à Marrakech, Mustapha Nadi (par Patryck Froissart)
Si tu vas à Marrakech, mai 2021, 105 pages, 13 €
Ecrivain(s): Mustapha Nadi Edition: L'Harmattan
« Si tu vas à Marrakech, n’oublie pas l’envers du décor ! », prévient l’auteur.
Mustapha Nadi, né dans la cité impériale du sud marocain, vivant en Lorraine, dévoile la vision qu’il a de sa ville natale, dont il découvre et redécouvre, à chacun des séjours qu’il y effectue, les faces cachées, occultées derrière l’écran du panorama de carte postale qu’en fabriquent les faiseurs de documentaires destinés aux hordes de touristes qui aspirent à y débarquer en quête d’un exotisme devenu là parfaitement artificiel.
« Comme une cicatrice qui ravive son origine, une blessure. Naître à Marrakech et vivre en Lorraine. […] Bien des années plus tard, un lien irrationnel […]. Une sorte de cordon subliminal ».
Dans une double tonalité, l’une, diffuse, de nostalgie des origines et des scènes révolues d’un quotidien paisiblement affairé, l’autre, expressivement sensible à fleur de phrase, d’anxiété face au présent et à l’avenir, en seize courts récits, Nadi aborde un par un chacun des éléments d’un décor dont il présente alternativement la face visible et le revers.
« L’angoisse qui teint ces récits peut exaspérer ; elle est cependant un hommage inquiet, pessimiste, pour l’avenir d’une ville qui condense et diffuse à elle seule toute la schizophrénie marocaine. Car toujours, rampante, insidieuse, la bête immonde… ».
La bête, on l’aura compris, est celle du fondamentalisme islamique (cet homologue religieux fanatique du fascisme raciste tout aussi fanatique à l’occidentale) et de ses manifestations terroristes sanglantes dont l’ancienne et prestigieuse capitale almoravide a été l’une des cibles tragiques et reste le théâtre potentiel d’autres attentats.
Autre risque d’explosion qui mijote au feu du soleil marocain sous le couvercle de la marmite marrakchia, la coexistence, jusqu’ici demeurée précairement pacifique, de deux mondes aux antipodes l’un de l’autre : en haut, très haut, celui de la haute bourgeoisie du pays et des richissimes visiteurs, en bas, très bas, celui des innombrables petites gens qui s’échinent à recueillir quelques-unes des miettes retombant des nappes fastueuses que secouent à longueur de journée les personnels de service. Cette implantation de riches personnalités du spectacle, de la mode, de l’industrie, de la haute finance tient, pour l’auteur, d’un parasitisme (voire d’un vampirisme) dévastateur.
« Du ciel on aperçoit aussi une multitude de taches bleues et de rectangles émeraude : des piscines ! Comme autant de gouffres engloutissant la soif d’une ville. […] un pays de sécheresse aux urbanités léopardisées par des dizaines de golfs, vortex aquatiques ignorant des milliers de paysans priant pour qu’il pleuve… ».
L’itinéraire narratif ne pouvait évidemment pas éviter l’attraction mondialement connue de la perle du sud. Nadi décrit et analyse donc, avec talent, le spectacle permanent qui anime l’emblématique cirque à ciel ouvert et exprime fort bien les bruits, couleurs, saveurs, odeurs et mouvements qui en sont la marque unique et féerique. Mais, pour l’auteur qui y revient après 2011, l’ambiance festive est plombée par le souvenir du massacre sanglant des clients et du personnel du café Argana et par celui des deux jeunes touristes scandinaves égorgées dans la proche vallée d’Imlil en 2018.
Bien d’autres paradoxes nourrissent la rêverie solitaire du promeneur, au cours de laquelle les regrets liés à la séparation, au déracinement et à l’exil se mêlent d’une part à la tristesse et à la colère tenant au constat de ce qu’est devenue la ville ocre des caravansérails et à l’évidence de la disparition presque achevée de toute la richesse culturelle d’une tradition berbère millénaire, d’autre part à l’angoisse provoquée par la progression d’une idéologie intégriste qui ferait perdre inéluctablement et définitivement à la ville historique le peu qui reste de son âme ancestrale.
On adhère aisément.
Patryck Froissart
Mustapha Nadi est né à Marrakech en 1957. Lycée Lyautey à Casablanca, études scientifiques à Clermont-Ferrand et à Nancy, thèse de Doctorat en électronique sur le « traitement anticancéreux par champs électromagnétiques, radiofréquences », suivie d’une Habilitation à diriger des recherches. Professeur à l’Université de Lorraine, expert en électronique biomédicale auprès de plusieurs organismes nationaux (ANSES, AFSSAPS) et internationaux (CENELEC, OMS), il a dirigé de 1996 à 2006 le laboratoire de recherche en instrumentation électronique de Nancy. Il a dirigé de nombreuses thèses de l’Université de Lorraine. Ses recherches portent sur le bio électromagnétisme et la mesure électronique sur le vivant. Il est l’auteur de La face froide du soleil, roman (2015), et Le détroit : l’Occident barricadé, roman (2012), aux éditions Riveneuve.
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