Si j’étais une souris de Mapi et de Susumu Fujimoto, par Yasmina Mahdi
Si j’étais une souris de Mapi et de Susumu Fujimoto, Grasset Jeunesse, coll. Lecteurs en herbe, août 2018, 40 pages, 15,50 €
Bestiaire du zodiaque
L’appellation « illustration » a une longue histoire, et est soumise à controverse. Pour ma part, j’opterai pour un propos non partisan en plaçant la catégorie de l’illustration dans l’œuvre d’art, c’est-à-dire à l’intérieur de l’histoire de l’art et y corroborant largement. Je rappellerai que bien des plasticiens contemporains puisent dans le registre de l’enfance, l’autobiographie, et utilisent des formes épurées, à la technique de la gouache, des crayons de couleur ou du feutre. Ainsi, toute œuvre d’art plastique est sous-tendue par un propos, alimentée par une figure – la figure prise dans le sens de représentation, qui fait image. Toute production artistique est donc le fruit d’un ou de plusieurs artistes, historicisée par un contexte intellectuel, économique, moral et politique, soumise à des règles esthétiques et plastiques.
En effet, les textes littéraires (poétiques, religieux, romanesques) ont permis aux artistes visuels de créer une iconographie très vaste, dans un spectre partant du codex, du papyrus, des enluminures, des manuscrits et allant jusqu’aux actuels albums destinés à un jeune public. La liste de peintres, de dessinateurs et de graveurs ayant collaboré à enrichir les contes et les histoires originales pour enfants est très longue. Au XIXème siècle, considéré comme l’Âge d’or de l’illustration, les plus célèbres d’entre eux ont marqué durablement l’imaginaire collectif avec, entre autres, Gustave Doré, Jean-Jacques Grandville, Arthur Rackham, John Tenniel, Kate Greenaway, Beatrix Potter, etc. À ce sujet, la maison d’édition Grasset Jeunesse a été fondée en 1973. Elle y accueille des créateurs très divers comme, au début, François Ruy-Vidal, Étienne Delessert, puis en 1975, Nicole Claveloux, et se trouve forte d’un catalogue de plus de 300 titres. Notons que Tant pis pour la pluie ! de Stéphanie Demasse-Pottier et de Lucia Calfapietra, Le souffle de l’été de Anne Cortey et de Anaïs Massini, Lettres à mon cher grand-père qui n’est plus de ce monde de Frédéric Kessler et de Alain Pilon sont classés comme les albums préférés lus en 2017 par des enfants de 2 à 5 ans.
L’album Si j’étais une souris se présente comme un beau livre cartonné sur fond rouge et au titre blanc, qui s’ouvre dans la largeur. Susumu Fujimoto en est le dessinateur kyotoïte qui a fondé en 1986 le studio Go’s Design, dont les illustrations ont été sélectionnées en 2011 pour la foire internationale du livre jeunesse de Bologne. Mapi, journaliste et auteure, en a écrit les textes. Le titre « si j’étais » exprime une possible transformation. Sous forme de comptine, les animaux sont énumérés, accompagnés de textes simples. Ces phrases avec modèles s’adressent à des enfants d’écoles maternelles et élémentaires. Environ 19 illustrations pleine page s’augmentent d’un récit, d’un texte court et poétique. L’on y découvre des bêtes familières, domestiques, de compagnie, de basse-cour, certaines sauvages ou fantastiques, mythiques, d’autres considérées comme nuisibles. De quoi alimenter l’imaginaire enfantin et d’élargir les connaissances générales des enfants. Une ronde d’animaux reconnaissables, personnalisés, en pied, parfois isolés, certains à l’échelle, quelques-uns proportionnés vis-à-vis de fillettes et de jeunes garçons stylisés, compose l’ouvrage. Les aplats sont clairs, les contours nets, des silhouettes et des ombres noires apparaissent dans des ambiances tantôt nocturnes, tantôt diurnes. Le monde est ainsi anthropomorphisé, chaque animal du bestiaire est qualifié de ses attributs les plus éloquents. Les douze animaux du zodiaque chinois se trouvent présents. Susumu Fujimoto emploie également les couleurs de l’astrologie chinoise et de ses planètes : le blanc, couleur du métal, de la planète Vénus, le bleu et le noir pour l’eau et Mercure, le vert pour le bois et Jupiter, le rouge pour le feu et Mars, le jaune attribué à la terre, en consonance avec Saturne.
Pour conclure, je soulignerai encore une fois la richesse graphique du trait, la recherche subtile des nuances chromatiques, qui confèrent à l’ouvrage une sensualité et une délicatesse, un ton proche de l’estampe japonaise, mêlée à l’unicité du sujet occidental. La rencontre avec ces animaux ouvre aussi sur l’éventualité de la métempsychose, et du respect dû aux animaux. Bref, un beau livre indispensable pour rêver et apprendre…
Yasmina Mahdi
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