Shahara, Pourquoi pas la lune, Caroline Stella (par Marie du Crest)
Shahara, Pourquoi pas la lune, Caroline Stella, octobre 2020, 63 pages, 8,20 €
Edition: Espaces 34Chacun sait combien la littérature-jeunesse occupe une place de plus en plus affirmée dans la sphère éditoriale française depuis la moitié du XIXème siècle. Certes, c’est le roman qui s’impose largement depuis la Comtesse de Ségur ou Jules Verne. Toutefois les textes de théâtre à destination du jeune public ou du « tout public » ne cessent de se multiplier, sans doute en lien avec la demande dans les programmations, de beaucoup de structures culturelles de propositions en direction des jeunes spectateurs.
Comme assez souvent, le texte « jeunesse » suppose une incarnation de cette cible particulière, et ce à travers des personnages relevant de l’enfance ou de l’adolescence. C’est le cas dans cette dernière pièce de Caroline Stella, puisqu’elle met en scène Shahara, âgée d’une dizaine d’années, et Mélie, autre fillette du même âge. Elles font connaissance dans un service de pédiatrie spécialisée dans le traitement des cancers.
Il y a le quotidien particulier de l’univers médical, si inquiétant, où la mort rôde, parce que Mélie a un grain de beauté suspect qu’il faut opérer, et que Shahara, la petite marocaine, revêtue d’une combinaison étrange comme celle des cosmonautes en raison d’une maladie rare, doit affronter des traitements lourds dans l’espoir d’être sauvée. Et dès lors, il faut tenter de s’évader en imaginations cosmiques. Sans doute aussi parce que la littérature-jeunesse accorde une large place au fantastique, au merveilleux. La lune prend ainsi la parole. Shahara est une « enfant de la lune », à la peau constellée de taches. Elle doit fuir la lumière et ne pas quitter sa drôle de tenue.
La lune, astre poétique, celui de Cyrano de Bergerac, d’un petit poème en prose de Baudelaire (Les Bienfaits de la lune), de Méliès… pour s’échapper un peu au pire. Mais aussi astre des menaces. Les deux fillettes se préparent pour leur mission Apollo 16 dans une réserve à médicaments transformée en laboratoire de leurs rêves. La lune n’est en fait qu’une ampoule.
Les deux mondes (celui de l’hôpital et celui du voyage intersidéral) se juxtaposent peu à peu au moment de « l’Heure H », celle de l’opération que doit subir Shahara et celle du lancement de la fusée en direction de la Lune (p.47). Les répliques se suivent en changeant de motifs. Le texte se construit d’ailleurs dans son entier sur cet ordre à rebours de 10 à 1, tendant vers la mise à feu, à la manière des pratiques des centres spatiaux. Le Feu comme le Noir du théâtre à atteindre, en vérité.
La pièce de Caroline Stella, au nom programmatique (l’étoile) s’inscrit à la fois dans une logique du réel : la venue dans les services hospitaliers de gens de théâtre, ouvrant les portes de l’imaginaire pour les petits malades, mais surtout dans l’écriture du rêve comme thérapie théâtrale.
Marie Du Crest
Caroline Stella se forme au métier de comédienne au cours Florent après avoir suivi des études de Lettres à Aix-en Provence. Elle intègre ensuite le collectif ADM et la compagnie Troupuscule Théâtre. L’écriture dramatique prend de plus en plus d’importance dans son travail. En 2016, elle publie chez Espaces 34 son premier texte-jeunesse, Poussière(s), qui sera finaliste du Grand Prix de littérature dramatique Jeunesse ; et chez Lansman éditeur, en 2018, Meute / Une légende.
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