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Seul à travers l’Atlantique et autres récits, Alain Gerbault

Ecrit par Marc Michiels (Le Mot et la Chose) 22.08.14 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Aventures, Récits, Grasset

Seul à travers l’Atlantique et autres récits, préface Isabelle Autissier, postface Ella Maillart, nouvelle édition, mai 2014, 416 pages, 20,90 €

Ecrivain(s): Alain Gerbault Edition: Grasset

Seul à travers l’Atlantique et autres récits, Alain Gerbault

 

« … les traits sur mon esprit sont comme des ombres sur le vent qui fuit »

Edgar Allan Poe, Préface O.Z.Y.U., dernier journal

 

Alain Gerbault est né en novembre 1893 à Laval et mort en décembre 1941 à Dili, au Timor. Il est enrôlé comme pilote pendant la Première Guerre mondiale. Un jeune américain d’escadrille lui prêta un jour un livre de Jack London, La croisière du Snark. Ce dernier fut déterminant dans son désir de « prendre la mer ». A la fin du conflit, il se lance sans succès dans les affaires et participe à de nombreux tournois de tennis. En 1921, il décide de changer de vie et de partir seul en mer. Il achète un vieux voilier, le Firecrest, dans un port anglais. Après un entraînement de plusieurs mois en Méditerranée, il réalise en 1923 la première traversée de l’Atlantique en solitaire d’est en ouest, ralliant en 101 jours Gibraltar à New York – exploit alors inégalé.

L’ouvrage Seul à travers l’Atlantique et autres récits, réédité en mai 2014 aux éditions Grasset, rassemble le texte de son voyage en solitaire jusqu’à New York. Seul à travers l’Atlantique, deux journaux de bord : A la poursuite du soleilSur la route du retour, O.Z.Y.U. « dernier journal », etL’Evangile du soleil. Le livre raconte la destinée, la vision d’un homme hors du commun, un homme libre sur les mers, mais qui n’a pas su se détacher de ce qu’il fuyait. Le bateau en somme, n’est-il pas la synthèse, même réduite, d’un attachement nécessaire pour le voyage, aux paradigmes de la civilisation ? Peut-on seulement s’y soustraire complètement ? !

Ainsi donc, de guerre en guerre, Alain Gerbault n’aspira qu’à une seule chose : sortir de la civilisation. Partir, fuir ces modèles de puissance qui engendrent fureur, chaos des hommes, pour chercher dans le voyage d’autres fraternités. A l’épreuve quotidienne de la navigation, retrouver une part d’humanité, l’étincelle d’une vie : « Donne ! Prends ! Jeux et bavardages de matelots. J’avais tout ce bonheur, moi qui suis de goût simple ». Chercher dans la nature, le lieu de tous les possibles : un lieu d’abandon qui redonne son droit à l’existence, à l’oubli et au silence.

Néanmoins, le parcours du navigateur est prémonitoire, tant il nous renvoie à ce que nous appelons la mondialisation, l’uniformisation culturelle, la destruction de la nature, la désagrégation de la société, débouchant sur le renforcement des idées réactionnaires encore vivaces aujourd’hui. Un repli sur soi contradictoire, en quelque sorte, et non sur une tentation moderne de l’évolution.

Isabelle Autissier, dans la préface de l’ouvrage, résume parfaitement l’histoire singulière de l’homme : « ni tout-à-fait marin, ni tout-à-fait terrien. Son esprit rebelle est émouvant, sa ténacité force l’admiration, ses erreurs et ses errements agacent. Il a finalement eu l’immense mérite d’aller au bout. Combien l’ont fait ? Si son rêve de gloire et de liberté lui a brûlé les ailes, il a vécu avec la mer pour égérie et c’est déjà beaucoup ».

Alain Gerbault demeure quelque temps aux Etats-Unis, dans une petite ville au bord de la mer, où son exploit lui vaut une certaine célébrité. Il écrit :

« Ayant commencé ma vie avec tous les avantages de la fortune, j’aime maintenant cette existence simple du matelot, avec ses souffrances et ses angoisses. Ceux qui crurent que ma tentative était un exploit sportif destiné à conquérir la célébrité se sont trompés.

Il y a trois ans, pour la première fois, à bord de mon navire, j’avais pris la mer ; maintenant je sais qu’elle m’a pris pour toujours. Quoi qu’il advienne, je retournerai vers elle et je pense au jour heureux, maintenant très proche, où le Firecrest et moi nous repartirons ensemble vers le Pacifique et ses îles de beauté, et les vers du poète anglais hantent ma mémoire :

Je dois reprendre la mer,

car l’appel de la marée montante

est un appel clair,

et c’est un appel sauvage

auquel on ne peut qu’obéir

Et tout ce que je demande

est un jour de vent

avec les nuages blancs qui volent,

la vague déferlante, l’écume jaillissante

et les goélands criards ».

 

L’appel de la mer

En 1924, il part pour les mers du Sud en faisant escale aux Bermudes, dans la baie de Panama, aux îles Galapagos, les Marquises, Tahiti, à travers l’océan Indien, aux îles du Cap Vert, pour rejoindre Le Havre en 1929. Et ces routes maritimes, cette liberté, lui vaudront une renommée internationale ainsi que la Légion d’honneur. Toujours attiré par la mer et la Polynésie, dont il est tombé amoureux pendant son périple, il repart en 1932 sur un nouveau bateau… Pour autant, le marin fut accompagné toute sa vie par l’idée même de sa fin. En août 1927, en arrivant sur la rade d’Apia de l’île d’Oupolou, il ne peut chasser de ses pensées tous les lieux décrits par Robert Louis Stevenson, auteur notamment de L’Île au trésor (1883) et qui mourut le 3 décembre 1894 à Vailima-île Samoa, enterré selon son désir face à la mer au sommet du mont Vaea. Sa tombe porte en épitaphe les premiers vers de son poème Requiem composé à Hyères en 1884 :

 

« Sous le large ciel étoilé,

Creusez la tombe et laissez-moi reposer.

Joyeux je vécus avec joie je meurs

Et je me suis couché avec une volonté dernière

Qui est le vers que vous avez gravé pour moi :

Ici il repose où il désirait être,

Chez lui est le marin de retour de la mer

Et le chasseur est rentré de la colline ».

 

Alain Gerbault, dans L’Evangile du soleil, écrit :

« S’il m’arrivait de mourir à terre, je désirerais être remorqué au large de mon bateau et que celui-ci, sabordé, coule toutes voiles et pavillons dehors, m’ensevelissant au sein de la mer que j’aime, parmi les seules choses dont j’ai aimé la possession, et c’est ainsi que je composerais mon épitaphe :

Amis, ne plaignez pas le marin disparu,

Heureux, il dort où il voulait vivre,

Amis, ne plaignez pas le marin disparu,

Mais priez que les vagues le bercent doucement ».

 

Alain Gerbault mourut seul, à l’autre bout du monde, dans une chambre d’hôpital, dans le bouleversement de la guerre, et l’on ne sait rien de la disparition de son bateau, des suppositions tout au plus. Il fut porté en terre dans un cercueil de bois peint en noir, par quatre indigènes. Modeste tombe dans un petit cimetière aux murs de corail blanc, sous les palmiers, ornée d’une simple croix de bois noir. En 1946, sur l’initiative du Yacht Club de France, l’amiral Lemonnier put rendre l’hommage du gouvernement français au héros disparu.
Il envoya, de Saïgon à l’île de Timor, le croiseur Dumont d’Urville pour chercher sa dépouille. En l’absence du bateau, il estima que le lieu le plus digne de son repos serait l’île de Pora-Pora – Bora Bora, celle qu’il avait préférée entre toutes.

Ella Maillart, célèbre voyageuse, exploratrice, écrivain et journaliste, nous fait part d’une dernière pensée d’Alain Gerbault :

« “Il faut être exceptionnellement équilibré pour pouvoir supporter sans accident la dualité de personnalité qu’impose la solitude”En chacun de nous existe l’homme intérieur, l’homme extérieur, l’Etre et le devenir… Il a eu le courage de devenir libre, maître de lui-même, ce à quoi chacun de nous aspire inconsciemment. Remercions l’homme d’avoir eu le courage d’être lui-même au point d’être maintenant à tous ».

Alain Gerbault aurait pu reprendre à son compte l’enseignement de Marao Taaora, qui lui fit connaître et aimer le vieux Tahiti, avec ses légendes, ses chants et ses poèmes :

« Tahiti, ô ma mère, je meurs pour toi ».

C’est là qu’il repose, au bord du rivage baigné par les flots du Pacifique.

 

Article écrit par Marc Michiels pour Le Mot et la Chose

 

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A propos de l'écrivain

Alain Gerbault

 

Né en 1893 à Laval en Mayenne, Alain Gerbault débarque à New York le 15 septembre 1923, sur le Firecrest, après une traversée légendaire de l’Atlantique d’est en ouest qui aura duré cent deux jours. Il en publiera une relation : Seul à travers l’Atlantique. Le 2 octobre 1924, il quitte New York pour un tour du monde par Panama, l’océan Indien et le Cap de Bonne-Espérance ; il atteint Le Havre le 26 juillet 1929. Deux journaux de bord : A la poursuite du soleil et Sur la route du retour. Second tour du monde en 1932 sur le bateau de ses rêves, l’Alain-Gerbault : O.Z.Y.U. Un jour d’août 1941, un inconnu, malade, sur un voilier à bout de course, aborde l’île de Timor où il meurt le 16 décembre. L’Evangile du soleil est le testament de cet homme hors du commun.

 

A propos du rédacteur

Marc Michiels (Le Mot et la Chose)

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Né en 1967, Marc Michiels est un auteur de poésie visuelle. Passionné de photographie, de peinture et amoureux infatigable de la culture japonaise, il aime jouer avec les mots, les images et la lumière. Chacun de ses textes invitent au voyage, soit intérieur à la recherche du « qui » et du « Je par le jeu », soit physique entre la France et le Japon. Il a collaboré à différents ouvrages historiques ou artistiques en tant que photographe et est l’auteur de trois recueils de poésies : Aux passions joyeuses (Ed. Ragage, 2009), Aux doigts de bulles (Ed. Ragage, 2010) et Poésie’s (2005-2013). Il travaille actuellement sur un nouveau projet d’écriture baptisé Ailleurs qui s’oriente sur la persévérance du désir, dans l’expérience du « pardon », où les figures et les sentiments dialoguent dans une poétique de l’itinéraire.