Sept secondes pour devenir un aigle, Thomas Day
Sept secondes pour devenir un aigle, septembre 2016, postface de Yannick Rumpala, 384 pages, 8,20 €
Ecrivain(s): Thomas Day Edition: Folio (Gallimard)
Thomas Day (1971) est un des chefs de file du renouveau de la science-fiction francophone, un de ceux qui lui a redonné vigueur et diversité de tons – on songe en particulier au cycle La Voie du Sabre, remarquable de documentation, d’imagination et, surtout, d’allant stylistique. Avec Sept secondes pour devenir un aigle, le présent recueil de nouvelles publié précédemment aux éditions Le Bélial’, il démontre l’étendue de son talent tout en s’attachant à faire vivre la veine spéculative de la science-fiction, celle qui a des préoccupations Terre-à-Terre, si l’on permet les majuscules, puisqu’elle descend des étoiles lointaines pour se demander ce qu’il va advenir de notre petite planète – pas dans des siècles, non, demain. Du coup, qu’on ne s’étonne pas si ces nouvelles se placent dans la droite ligne de Soleil Vert, Tous à Zanzibar ou encore Bleue comme une Orange : si la littérature post-apocalyptique des années cinquante et soixante imaginait la vie, l’humanité après qu’un imbécile a appuyé sur un gros bouton au fond d’un bunker, la même littérature, depuis les années soixante-dix environ, se demande surtout ce qu’il va advenir de l’humanité si elle continue à foncer droit dans le mur écologique (surpopulation, surconsommation, destruction environnementale) sans même se demander s’il existe une pédale de frein.
Il est d’ailleurs saisissant de lire la nouvelle Lumière Noire, la sixième et dernière du présent recueil, quelques semaines après avoir lu le dernier essai en date de Paul Jorion, Le Dernier qui s’en va éteint la lumière : l’essayiste et le romancier se répondent, l’un par la fiction, l’autre par la théorie, et les deux arrivent à une conclusion similaire ; la Singularité, ce moment où l’intelligence des machines surpasserait celle des hommes (et notez que parfois, en regardant autour de soi, on voit des êtres bien « singuliers »…), approche à grands pas (deux ou trois générations selon Jorion, une dizaine d’années selon Day), et ce ne sera pas nécessairement pour un plus grand mal, et tant pis si l’humanité y laisse des plumes au passage : une intelligence artificielle, logique dans son essence, comprendrait la nécessité de préserver la planète, sans se poser la question du profit immédiat, par exemple. Certes, chez Day, cela prend des airs de Terminator (mais dans un décor naturel plus idyllique, puisque l’auteur met en évidence le renouveau écologique afférent à une disparition partielle de l’espèce humaine, en concordance avec ce qui est observé autour de Tchernobyl par exemple), mais cela semble presque enviable par rapport à ce qu’annonce Jorion pour dans cinquante ou soixante ans.
Cette nouvelle est la plus « classique » du lot en terme d’écriture, se contentant, si l’on peut dire, d’alterner les points de vue qui inévitablement se rejoignent, avec narration par un personnage des événements ayant mené à la mainmise d’une intelligence artificielle sur la planète Terre. Les autres, par contre, se distinguent toutes par des techniques narratives ou des choix stylistiques, ou le tout en même temps, qui démontrent que Thomas Day n’est pas « que » un auteur de science-fiction, c’est un auteur, tout court, et pas des moindres. Exemple avec la nouvelle Tjukurpa, narration fragmentée entre événements réels et événements « rêvés », donnant un aperçu de l’Australie post-catastrophe, du point de vue aborigène, mais surtout Ethologie du Tigre, saisissante fable écologique, oscillant entre préoccupations bien réelles, faits concrets, et fantastique contant fleurette à l’horrifique, avec cette conclusion se demandant si l’homme doit bien se comporter comme membre d’une espèce en voie d’extinction ou au contraire espérer.
C’est peut-être là une des forces des nouvelles de Day : elles refusent de se cantonner à une vision désespérée de l’avenir, quand bien même, la première du recueil mise à part, la très belle et poétique Mariposa, elles sont toutes situées dans une époque future où de toute évidence l’homme a vraiment bien continué à scier la branche sur laquelle il est assis mais dont il s’apprête à brutalement chuter, longtemps, longtemps… Toutes ces nouvelles montrent un éclair d’espoir, refusant de s’enfermer dans un désespoir et une noirceur à la Philip K. Dick (on songe à sa nouvelle Nouveau Modèle, où les machines prennent aussi le pouvoir, s’auto-générant, mais pas du tout dans la même optique que celles de Lumière Noire). Pour autant, il serait erroné de réduire ces nouvelles à de petits exercices littéraires façon composition d’adolescents : « imaginez un avenir du monde en quinze pages », car il y a l’écriture de Thomas Day, son art de la composition et des personnages solidement campés ; de la littérature qui dit la beauté heurtée du monde à venir, en somme, sans mièvrerie et sans noirceur excessive. Eminemment fréquentable, en somme.
Didier Smal
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