Sayonara Gangsters, Genichiro Takahashi
Sayonara Gangsters, Books éditions, 20 mars 2013, traduit de l’anglais Jean-François Chaix, d’après la traduction du japonais de Michael Emmerich, 223 p., 18 €
Ecrivain(s): Genichiro Takahashi
Vieille dame, quintuplés, habitant de Jupiter, « chose incompréhensible », et même Virgile transformé en frigo, tout le monde défile dans la classe de poésie du narrateur, dans un monde où les gangsters font la loi, où l’on apprend sa mort par un faire-part envoyé par la mairie et où les rivières peuvent couler au 6ème étage des immeubles.
On pourrait placer ce roman sous l’égide des Métamorphoses d’Ovide, un Ovide en exil, aussi saoul qu’il l’est dans le roman, où il fait une apparition dans le récit du réfrigérateur Virgile. La fantaisie débridée du roman invite à l’énumération d’éléments incongrus plutôt qu’au résumé, mais il y a bien là cependant une histoire, discrète, celle des amours de Sayonara Gangsters, le narrateur, qui encadrent de leur tendresse et de leur mélancolie le défilé cocasse des aspirants poètes.
La maison d’édition Books, qui ne publie que de la littérature étrangère inédite en français, propose donc pour son cinquième opus un texte célèbre au Japon, le premier roman de Genichiro Takahashi, paru en 1982. Comparée à celles d’Haruki Murakami, l’œuvre de Genichiro Takahashi provoque elle aussi ce sentiment d’une distance au monde, de flottement, mais dans un univers aux allures de science-fiction, tandis que l’imagination d’Haruki Murakami se déploie dans un espace quotidien qu’il fait subtilement dérailler. Le travail formel de Genichiro Takahashi les distingue également, et suggère la comparaison avec L’Écume des jours : le roman, où s’insèrent des éléments graphiques, laisse parfois l’initiative à la langue, dont est ainsi mis en valeur le pouvoir créateur. Sous la plume de Genichiro Takahashi, les mots sont en liberté, rappelant le contexte d’écriture du roman, qui fait suite à une période d’incarcération où l’auteur a perdu en partie sa maîtrise de la langue. Sayonara Ganstersparaît hanté par cette expérience de la perte, de soi comme du langage : le monde imaginaire décrit est un univers où plus personne n’a de nom, où, plutôt, chacun nomme à son gré les personnes qu’il aime. Prétexte à une onomastique poétique, tour à tour farfelue, émouvante et érotique, ce flottement des noms semble engendrer l’angoisse qui dirige des êtres si variés vers la classe de poésie de Sayonara Gansters, en quête de mots, et surtout de noms. Takahashi dit là le besoin de la poésie, qui vient répondre à cette insoutenable légèreté de l’être, et se heurter, finalement, à la meurtrière matérialité qu’incarnent les gangsters.
Ivanne Rialland
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