Saule abattu, Philippe Fumery (par Murielle Compère-Demarcy)
Saule abattu, Philippe Fumery, 2011, 63 pages, 6 €
Edition: Editions Henry
Il est des poésies qui invitent le lecteur à prendre le temps de regarder le quotidien qui l’entoure. Apprendre à regarder, avoir envie de regarder, par la médiation du poète, la vie de tous les jours dans son environnement, ses menus faits et gestes simples d’hommes. Le poète Philippe Fumery dans ce Saule abattu offre les blasons d’une telle poésie version 21e siècle (dans tous les cas, créatrice de textes a-temporels), une poésie ciselée de poèmes courts telles des pierres blanches (titre d’un recueil de Pierre Reverdy) jalonnant les chemins de notre existence.
Philippe Fumery nous ouvre par la main d’œuvre de ses mots des fenêtres sur l’instantanéité humble des êtres et des choses, de passage, et qui cependant demeurent dans le grenier de notre temps à vivre et revivre, revisité/réinventé, dans le vent, parmi les décombres, imaginé ou réfléchi « sur l’horizon / à perte de vue » aussi.
« L’enfant
à la marche hésitante
descend pied à pied
la main posée sur le mur
glisse dans les joints
pierre après pierre »
De même « l’enfant », de même l’âme de nos existences trébuchantes, tendue par « l’effort déployé/ la taille de l’espace à affronter » de « se remettre à chercher sa place ». Chaque poème de ce Saule abattu offre un instant de vie, une atmosphère ; allume un feu de veille dont le poète bienveillant sauvegarde et prolonge la flamme. Les mots font ici feu réchauffant du bois d’un monde intime, curieux du plus simple vécu, de l’inconnu à y découvrir. Quelque chose de Reverdy résonne dans la poésie de Philippe Fumery, dans le monde remarqué/consigné, la tonalité, le rythme du vivre ici observé.
« Pigeon ramier
perché sur le pommier,
sa gorge est plus rose
au milieu des corolles »
La nuance (« sa gorge est plus rose/au milieu des corolles ») avivée par l’image se retrouve dans la puissance suggestive (et non démonstrative) de l’écriture de Philippe Fumery. Le poète évoque des paysages du Nord de la France sans doute, le travail de la terre, les us des « anciens » (l’enterrement d’« un ami depuis l’école », les pêcheurs, « les journaliers » (travailleurs saisonniers d’aujourd’hui)… ; il scrute « le faucon », « un homme », « une empreinte sombre », « l’homme un soir », « l’ombre », « le jardinier », « la gouttière », le « merle apeuré », « les blés versés », « l’enfant », « la haie taillée», « un rouge-gorge », « les goélands », « le père »… Autant d’éléments personnifiés, autant d’entités impersonnelles comme pour mieux en ausculter les vibrations et le murmure internes. Fragments de réalité défaits de leurs reflets surfaits, que traverse l’œil à l’écoute et perçant, l’œil de guetteur/de faucon du poète, à l’affût des moindres frémissements du monde en ses sous-bois/silences/mouvements. Ce n’est pas sans raison que nous retrouvons deux vers du poète Pierre Reverdy, extraits de Sources du Vent, cités en exergue à la fin de cet opuscule poétique publié dans la collection « La main aux poètes » des éditions Henry.
Nous retrouvons dans la poésie de Philippe Fumery, et en l’occurrence dans ce Saule abattusymbolique, allégorique (couché comme un être tombé « branche après branche », amené « jusqu’au bûcher » sans vouloir y brûler, comme un homme refuserait jusqu’au bout de totalement disparaître) – il y a dans la poésie de Philippe Fumery « cette émotion appelée poésie » (Pierre Reverdy), souffle intime et puissant pulsant les vaisseaux de la vie, circulant dans le cœur du vivant. L’émotion poétique, davantage de type esthétique que psychologique, ne soulève aucun pathos mais cristallise en ses lignes de navigation le sel des choses, l’expérience des êtres. Paradoxalement, cette émotion surgie du regard du poète et qui n’est pas simple expression du ressenti éprouvé dans le cours contingent d’une existence, provient bien, dans la poésie de Reverdy comme dans celle de Fumery, des aléas de la vie courante (cette chute du saule par exemple, fauché par la tempête, ou un moment saisi dans la journée de « l’homme âgé »…). C’est que le lyrisme y est condensé : exprimé en même temps que resserré auprès du noyau essentiel et pur du cœur dont les perceptions et les sentiments sont transformés/transfigurés afin de créer l’émotion et non simplement l’exprimer, écho chez le lecteur d’une création par concentration activée par le poète. Lorsque nous lisons ces vers dans Saule abattu :
« Passante inconnue
au bord de la route
robe noire
épaules nues
dans la chaleur d’août.
Le vent qui la décoiffe
cache son visage à jamais »
nous voyons la « passante inconnue » par l’image que nous en offrent les mots, et la matière première de l’observation de cette passante est suffisamment/efficacement refondue par le poète pour produire une émotion agie au sens où le lecteur VOIT cette femme « inconnue » et l’envisage sur l’horizon de ses visions à sa guise faute de pouvoir trouver dans le texte les mots qui dessinent son visage (« Le vent qui la décoiffe / cache son visage à jamais »). Saule abattu réussit à créer chez le lecteur une émotion particulière – une émotion poétique où le poids vécu du réel s’allège dans la forêt vivante des mots libérés de leur écorce et des racines primitives qui les ont vu naître. La poésie, « en un jeu de force à rebours », exhume son réel de la réalité, un réel épuré, créant une émotion écrite offerte dans un sang d’encre. Cette émotion poétique, faisant trembler l’arbre dans ce Saule abattu de Philippe Fumery, trouve une résonance cosmique et universelle dont les quelques pages en italiques dans le recueil donnent le rythme du cheminement de nos errances. Le moi, le monde et les mots se cherchent, et tout départ est recommencement, quête d’un ailleurs « à portée/sans entrave » où, toujours,
« Un enfant appelle,
tendre l’oreille »
Dans un va-et-vient permanent, une focalisation sur des instants de vie dont l’éphémère rejoint la durée via la profondeur ouverte par la force de concentration des mots, le poète Philippe Fumery nous offre des poèmes d’un présent qui sans cesse se régénère, au lyrisme formel, personnel et universel. « Quand je parle des vagues ou des branches, il est certain que je parle de moi : parlant de moi, je voudrais parler des vagues ou des branches » écrivait Pierre Dhainaut ; Philippe Fumery assure les « relèves de veilles » en se tenant/nous tenant alertes dans le passage inapaisable de l’Instant « les mouettes (accordées) à (s)es pas » près « la rambarde » de plein vent, nous donnant à voir « l’autre côté du monde » (cf. Pierre Reverdy)…
Murielle Compère-Demarcy
Philippe Fumery est né en 1955. Il est marié, père de trois filles, et vit sur le littoral proche de Dunkerque. Après un essai en agriculture, l’auteur travaille à l’insertion sociale et professionnelle des jeunes et des adultes en difficulté.
- Vu : 2039