Samouraï, 1000 ans d’histoire du Japon, au musée d’Histoire de Nantes
« La fleur des fleurs est le bourgeon de la fleur du cerisier – le samouraï est l’homme parmi les hommes ».
Pour sa grande exposition annuelle, le musée d’Histoire de Nantes du Château des ducs de Bretagne, avec le partenariat exceptionnel du musée-château d’Osaka, le musée national des Arts asiatiques – Guimet, le musée Stibbert, et l’apport d’une dizaine de collections de privés, françaises et étrangères, présentent l’évènement : Samouraï, 1000 ans d’histoire du Japon, jusqu’au 9 novembre 2014.
Entre modernité et altérité, plus de 400 objets historiques et l’esprit du Sarinagara permettent à cette exposition de rendre accessible à tous un monde flottant. A travers l’âme d’une nation, c’est la noblesse et toutes les poésies de l’envoûtante culture du Japon d’hier et d’aujourd’hui qui ont pris leurs quartiers dans ce fief ducal et royal de Bretagne.
Plutôt que l’aspect guerrier des samouraïs, la manifestation raconte une histoire de la société japonaise sur plus de 1000 ans. Ainsi, les attributs guerriers du samouraï voisinent avec des objets témoignant de ce qu’ils ont pu produire par leur mécénat, leur vocation et leurs pérégrinations : l’art du thé, l’art du jardin, le théâtre nô, etc.
Le mot samouraï est une appellation populaire japonaise. Elle désigne le guerrier : le bushi. Les bushis sont les grandes figures de célèbres romans japonais : le Genji-monogatari, le Roman de Genji (vers 1008), et l’Heike-monogatari (13e siècle). Les samouraïs y sont parfois décrits comme de parfaits soudards. Paradoxalement, dans le Genji où toute violence est bannie, il n’y a pratiquement pas de guerriers, mais des nobles de cours, des femmes et des lettrés.
Œuvre de référence, le Hagakure Kikigaki (ouvrage majeur sur le bushido, ou voie du bushi) est une compilation des pensées, préceptes et enseignements de Jōchō Yamamoto, ancien samouraï. Il fut découvert par le public durant l’ère Meiji qui débuta en 1868, mais ne commença à être réellement diffusé qu’au début du 20e siècle.
Il fallut attendre l’époque Edo et voir le système impérial s’écrouler pour que le côté méditatif et cultivé du samouraï disparaisse pour un temps au Japon. Contre toute attente, c’est cette image, sanguinaire et servile, qui sera transmise et perdure encore de nos jours en Occident. Source de fascination ou de rejet depuis plus d’un siècle et demi, le samouraï et son esprit, par le chemin du bushido, font encore partie intégrante de cet imaginaire de bande-dessinée que l’Occident projette toujours sur le Japon contemporain.
Mais, qu’en est-il exactement ? Quelle fut la place du samouraï dans la société japonaise ? Quelle place tiennent encore ces guerriers du Moyen-âge dans notre ère, tandis que leurs codes et leurs postures enflamment le cinéma et l’imaginaire ?
La représentation du samouraï dans le cinéma nippon traverse l’écran avec mille visages, entre respect strict et remise en question du code d’honneur : le bushido. À l’occasion de l’exposition, un cycle de projections est proposé au public sous le titre La loi du genre.
Coédité par les éditions du Château des ducs de Bretagne et les Presses Universitaires de Rennes, un livre intitulé Samouraï, 1000 ans d’histoire du Japon, paraît en simultané.
Le portrait du samouraï que restitue Pierre-François Souyri, ancien directeur de la Maison franco-japonaise à Tokyo et professeur à l’université de Genève où il enseigne l’histoire du Japon, interpelle. Qui furent réellement ces guerriers, apparus dans le fracas du 10e siècle et qui dominèrent l’histoire du Japon durant un millénaire ? Au temps des seigneurs de la guerre, soldats violents, adeptes de la mort volontaire et soumis à un exigeant code moral ? Ou fins lettrés, habités par la poésie et la spiritualité, esthètes amateurs d’art et de thé ? Le samouraï prit de multiples masques et visages au cours des âges. L’auteur nous dévoile la pacification des guerriers et l’invention du mythe moderne au 20e siècle :
« Si tu meurs sans atteindre un objectif, ta mort pourra être la mort d’un chien, la mort de la folie »
Autour de l’exposition, pour sa deuxième édition, la manifestation Échos propose une exploration littéraire, des lectures, suivies d’entretiens autour des « histoires japonaises ». Seront présents dans ces espaces de dialogues : Michael Lonsdale pour la lecture du Silence de Shûsaku Endô ; Sarinagara de Philippe Forest ; Le Japon, terre de poésie lu par Gilles Blaise ; rencontre autour de l’ouvrage deFukushima, le récit d’un désastre de Michael Ferrier ; avec l’auteur et Ryôko Sekiguchi et Philippe Forest, Le club des gourmets et autres cuisines japonaises – recueil de textes choisis par Ryôko Sekiguchi et qui évoquera la cuisine de l’époque Edo, âge d’or des samouraïs…
A cette occasion, Le Mot et la Chose a rencontré Ryôko Sekiguchi. Ecrivain, traductrice, née à Tokyo, la jeune femme vit à Paris depuis 1997 et anime des rencontres littéraires et culinaires, par exemple à La Cocotte, librairie située dans 11e arrondissement de Paris. Elle publie une collection de littérature culinaire japonaise : Raconte-moi une histoire de cuisine.
Le Mot et la Chose : Ryôko Sekiguchi, qu’est-ce qui vous a attiré dans notre culture française ?
Ryôko Sekiguchi : Ce qui m’a attirée dans votre culture, c’est à la fois le sens de la contestation, de la critique, et ce que j’appellerai ce grand n’importe quoi ! Au Japon, entre les citoyens, il y a une forme d’autocensure, on fait toujours attention à ne pas être différents les uns des autres. À la fin des années 1990, les japonais étaient plus libres. Fukushima a aussi rendu les choses plus difficiles et a exacerbé les positions de chacun, qui jusqu’alors étaient consensuelles. Il y a en quelque sorte un repli sur soi et aujourd’hui la moindre différence se remarque.
MC : Est-ce que la période des samouraïs, l’esprit du « bushido » persiste encore aujourd’hui, notamment à travers ses codes ?
RS : L’esprit du bushido est une très belle idée, mais la réalité reste beaucoup plus cruelle, violente et complexe aussi. J’ai vu récemment un documentaire sur les années 1950, début 1960, qui parlait du mode de vie des japonais ; on pense par exemple, en allant au Japon, que la propreté a toujours été une de nos règles de vie… Mais, à l’époque, c’était complètement différent, la société japonaise a dû passer par une période de modernité pour adapter son modèle traditionnel.
MC : Sur quel projet avez-vous travaillé pour votre résidence à la Villa Médicis entre 2013 et 2014 ?
RS : Pour la Villa Médicis, j’ai présenté un projet sur les momies en Italie, qui va aboutir à un livre intitulé probablement Corps qui restent. Contrairement à ces corps que nous n’avons pas retrouvés lors du tsunami du 11 mars 2011. Pour les momies, c’est le contraire, les corps sont toujours là et c’est ce qui fait le « décalage ». Pour moi, il n’y a rien de morbide, c’est aussi à l’opposé de ces corps que l’on n’a pas pu retrouver lors du tsunami et qui pose la question de savoir. Pourquoi avons-nous tous besoin de voir les corps pour que le travail de deuil puisse se faire en chacun de nous ?
Et puis, il y a eu des rencontres, la création d’un texte que je n’aurais pas pu faire à Paris, intitulé Dîner fantasma. Il doit être présenté en une version du type « performance » en octobre, à la Maison de la poésie, avec la projection d’un film en collaboration avec Felipe Ribon, suivie d’une discussion. Nous avons fait la connaissance, à Rome, d’un monsieur qui organise des séances d’occultisme. Nous lui avons proposé de mettre « en place » des repas pour les fantômes. Ces expériences ont généré des impressions, des sensations de natures variées…
MC : Vous avez écrit « L’astringent », en 2012, aux éditions Argol. En France, le mot reste largement méconnu, ce qui n’est pas le cas au Japon. On parlera ainsi d’un « homme astringent » ou de « couleurs astringentes » pour évoquer le bon goût, un certain raffinement. Par quel mot japonais et sa traduction française définiriez-vous le samouraï ?
RS : Je dirais qu’à la fois, il existe une image du samouraï de l’époque Edo plutôt stoïque. Ensuite, à la période de Sengoku-jidai, qui s’étend du milieu du 15e à la fin du 16e siècle, cette image, tout en restant classique, évolue vers plus de théâtralité, riche, extravagante, baroque, complexe et contradictoire. Il se développe alors un fort esprit d’accompagnement des arts en général, par la cérémonie de thé notamment, le développement du mécénat dans l’univers de la céramique, etc.
MC : C’est durant l’époque Edo (1603-1868) que s’est épanouie une cuisine typique de la culture culinaire japonaise : sushis, nouilles de sarrasin (soba), tempuras, plats d’anguille dans les restaurants ambulants, au raffinement « iki » propre à cette époque. Etes-vous nostalgique de cette période historique du point de vue culinaire ? Que poursuivez-vous par l’entremise du club des gourmets ?
RS : Pour moi, la cuisine d’Edo n’est pas la cuisine d’Iki : l’important, c’est la façon de manger et non les aliments en soi. Par contre, la période Edo est la genèse de la cuisine que l’on peut appeler « japonaise », et c’est exactement le même processus qui s’est développé en France. C’est en effet à cette époque-là que l’on commence à écrire sur la cuisine. C’est très important, car si on n’avait pas écrit sur la cuisine, celle-ci n’aurait pas existé comme un art. C’est la raison pour laquelle la cuisine française est très reconnue dans le monde. Il y a une relation très forte entre l’écriture et l’existence, entre l’écriture et la cuisine, parce que la cuisine peut se raconter par l’écriture. C’est très important pour la culture d’une nation et l’image que le monde porte sur elle, c’est aussi simple que cela…
MC : La notion de catastrophe est très présente dans la culture japonaise. Peut-on parler d’une littérature post 11 mars 2011 ? Qu’est-ce que ce « retour » aux sources a-t-il changé dans votre art, dans votre relation aux autres ?
RS : Je pense que la mentalité sert la fiction, et les événements du 11 mars ont profondément changé la mentalité des gens. Vivre en permanence depuis l’enfance avec la notion de perte, d’une catastrophe à venir, c’est très obsédant. Cette idée hallucinante a fait que nous avons développé dans notre culture, au cinéma, dans la littérature, dans l’art en général, une forte identité liée à l’apocalypse, au « Day After ». Mais, c’est aussi une idée universelle du 20e et du 21e siècle, non ?! Ce que j’ai ressenti aussi, c’est que seuls les écrivains vivant au Japon peuvent écrire des livres sur le 11 mars 2011 pour les japonais. Quant à moi, j’écris pour tous les exils, tous les exilés, qu’ils soient Japonais ou bien Français, qu’ils aient de la famille japonaise ou non, qu’ils soient simplement attachés à notre culture, parce qu’il pensaient qu’ils n’avaient pas le droit de parler de cette catastrophe…
La poésie fut longtemps pour moi le support d’une voix solitaire. Alors qu’aujourd’hui, la prose est un territoire qui accueille les voies du possible. À cet égard, la résidence à la Villa Médicis m’a permis d’accueillir « l’écoute des corps » et cela ne pouvait plus se faire en poésie. Aujourd’hui, je suis deux écrivains différents à la fois : il y a des textes singuliers, distincts, que je publie pour le Japon et que je ne publierai pas en français, et vice versa. Ce retour a changé beaucoup de choses en effet…
Article et entretien réalisés par Marc Michiels pour Le Mot et la Chose
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Pour plus d’informations :
Visitez la page du Château des Ducs de Bretagne
– Exposition jusqu’au 9 novembre 2014
– Ouverture de 10h à 18h et fermé le lundi à partir du 1er septembre
– Tarif plein 7 €. Réduit 5 €
– Visites guidées : 4 € en plus du droit d’entrée
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