Sacrifice
Cette voix a été mutilée par un coup de rasoir coléreux. Elle a voulu se révolter, au coin d’une fenêtre, elle a crié sa hargne d’une filiation coercitive. Le père n’a pas supporté, imbibé d’alcool, il a tranché.
Quelques gouttes de sang sur une moquette, voilà ce qu’il reste d’une voix qui s’est perdue à jamais. L’enfance et l’espérance sont parties pour ne revenir que de manière hachurée à travers une logorrhée découpée, hoquetante et striée.
Ma sœur est alors devenue le fantôme d’elle-même, courant derrière cette voix lumineuse qu’elle avait perdu un jour de ténèbres. Elle n’a jamais pu solder cette perte. Sa voix, elle l’a oubliée, nous l’avons tous oubliée. Pourtant, chacun d’entre nous sait ce qui a été tu.
C’est comme s’il y avait eu un sacrifice, car jamais plus le père n’oserait inciser un de ses enfants.
Et toi mère, ta voix ? Comment ne s’est-elle pas alors réifiée ? As-tu hésité à te réveiller ? A t’enterrer ?
Quelle souffrance aujourd’hui d’être encore dans ton silence. Je ne peux plus me taire, mes oreilles raisonnent de hurlements qui m’empêchent de frissonner à la brise du matin.
Réveillez-vous, mes frères et mes sœurs, ayez le courage d’affronter l’irréparable, l’insoutenable.
Ma sœur, si courageuse, qui affronte aujourd’hui le vide d’une existence qu’elle veut plus joyeuse. Ma sœur qui si souvent a voulu mourir, mais qui toujours s’est manquée.
S’il te plaît, laisse s’épanouir cette flamme que notre mère nous a aussi transmise. Tu possèdes la hargne d’une vie ressuscitée et continuée. Tu es aussi cette femme généreuse qui jamais ne s’est épuisée dans la rancune et la haine. Tu es là dans le débordement des mots qui t’agitent. Tu sauras te trouver.
Zoe Tisset
- Vu : 2770