Sacré profane !, par Amin Zaoui
Dans une société islamisée où la culture d’ouverture, l’art de vivre ensemble et le respect de l’autre sont absents, l’homme est violent, voire agressif. Et cette bestialité de l’homme, dans une société pareille, est perçue comme symbole de la défense de l’honneur. Et le viol des droits de l’homme par l’homme est vu comme un courage. Une virilité chevaleresque ! L’Histoire est plus solide que le sacré. Le temporel est plus éternel que le sacré. Au commencement, le sacré musulman fut le Livre le Coran. Il était écrit à la main en se servant d’un calame taillé du roseau, trempé dans l’encre traditionnelle, s’maq. Transcrit sur la peau de chèvres ou de vaches, sur des parchemins ou sur des tablettes. Puis, un jour, le stylo Waterman américain est survenu, c’était en 1883 suivi du Bic français. Et les gardiens du temple, les fuqaha, n’ont pas tardé à interdire l’utilisation de cette chose impie pour écrire la Parole d’Allah ! Écrire le Coran à l’aide d’un stylo Waterman ou Bic est un acte de pollution religieuse. Une atteinte au sacré. Mais le stylo impie a résisté, les écrivains des versets sacrés se sont pliés. Et l’écriture a changé et la ligne d’interdits a reculé ! Un tabou est tombé.
Puis, arriva la machine à écrire, en caractères arabes en 1914, et les conservateurs islamistes n’ont pas tardé à crier haut et fort sur tous les minbars des mosquées, qu’écrire le Coran en usant d’une machine mécanographique satanique est un péché. Et que chaque musulman qui ose écrire un seul verset coranique à l’aide de cette machine diabolique fabriquée par les égarés, les impies, les impurs, est condamné par Allah, l’enfer est son destin éternel. Mais le temporel ne s’arrête pas, l’Histoire avance, la science aussi, et petit à petit le musulman se citadinise. Il s’est plié et se sert de la machine à écrire diabolique pour transcrire la Parole d’Allah, le Coran ! Il fut le premier muezzin.
Le jour où le Prophète a demandé à Bilal d’appeler les fidèles à la prière, grimpant le toit de la petite mosquée fait de branches de palmiers, il a usé de sa voix naturelle, physiologique. Quelques siècles après, arriva le microphone et le haut-parleur, voici un autre appareil impie, un nouveau phénomène, casse-tête qui dérange Bilal dans sa mort ! Bilal se retourne dans sa tombe ! Encore une fois de plus, les fuqaha n’ont pas attendu pour interdire l’utilisation du haut-parleur américain, français ou italien, chrétien ou juif, comme moyen pour l’appel à la prière : c’est haram ! Mais le rouleau compresseur de l’Histoire ne s’arrête pas. Ecrasant sur son chemin tout ce qui est contre la nature humaine, contre l’intelligence, contre la création, contre la raison. Aujourd’hui les musulmans se plaignent de l’utilisation exagérée et excessive du haut-parleur dans les mosquées. Paradoxe ! J’ai pensé à tout cela, en suivant quelques nouvelles à propos de la tournée artistique de Cheb Khaled en terre sainte (Arabie Saoudite). Le fils d’Oran, le King du raï, ne débarque pas en pèlerin, mais en sa personne d’artiste. Didi. Bakhta. Aïcha. C’est la vie ! J’ai pensé à tout cela, aussi, en voyant les images de ce fou d’Allah en train de saccager la statue historique de la vierge de Ain El Fouara de Sétif ! Si l’Histoire est un rouleau compresseur, les intellectuels sont les faiseurs de cette Histoire. Par la raison, par la lumière, par la science, ils font bouger les lignes de l’interdit, reculer la zone de l’ignorance et de la peur et élargir le champ de la liberté de pensée.
Amin Zaoui
In "Souffles" (Liberté, Alger)
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