S’il fallut un jour la guerre, Anne Brousseau (par Philippe Leuckx)
S’il fallut un jour la guerre, Anne Brousseau, éd. La Tête à L’envers, décembre 2021, 58 pages, 15 €
Un soldat rentre des combats. Chez lui. Il y retrouve sa maison, sa femme, son jardin. Il doit s’épouiller de toute la noirceur qu’il a vécue. Il doit apprivoiser et ensuite « supprimer » l’autre de lui-même, son « soldat fou », sa facette guerrière.
Dans un aller-retour splendide de justesse entre l’intérieur de la maison (et l’intériorité du combat conscient de cet homme) et le jardin, se joue toute la littérature, la lucide compréhension d’une déchirure qui scinde cet homme fragilisé en deux, celui qui aspire à la paix et l’autre, blessé, qu’il faut enfouir.
La poète multiplie les images de douceur et les doutes (les scènes passées). L’homme veut redécouvrir son corps fait pour l’amour, son corps debout pour aimer, sa sensualité, son enfance perdue. C’est un homme en quête de soi, lucide et conscient, « il a mené une guerre comme tant d’autres », « il ne se reconnaît pas lui-même », il sait que « chaque bataille est une folie ».
Ce petit livre est non seulement émouvant (on se met à la place de ce gars qui revient du sombre), il porte trace de tous nos combats intérieurs ; nous sommes souvent deux facettes en bagarre, en litige de conscience. On peut aisément généraliser le propos tenu et tendu d’Anne Brousseau.
En de courts poèmes, l’auteure réussit à décrire le plus clairement possible les mondes qui nous agitent et nous poussent à vivre :
Il savait le retour de l’hiver
le féroce
les neiges ne cessent de tomber
il se tient à l’abri
il a un abri (p.26)
Il faudra des heures de longues heures
des jours
pour retrouver un chez soi (p.38)
Ces poèmes phénoménologiques inscrivent le corps, le temps, le visage, dans une perception noble du réel ; l’homme est face à son destin ; il doit dans le lacis des blessures recoudre ce qu’il peut ; il doit faire connaissance avec le nouvel homme qu’il porte en lui, autant frère que l’autre dont il est en demeure de se séparer.
L’autre se tient désormais dans l’attente
de ses monologues
pour lui glisser la vérité
il a fallu son corps à elle
tout contre le sien
pour qu’il croie en la vie
pour qu’il croie en la mort (p.34)
La guerre est finie mais pas totalement. Elle reste comme une ombre tenace. La grandeur de l’homme est de l’évincer pour une renaissance, pour une nouvelle vie.
Ce recueil est magnifique. Il donne ce goût du bonheur retrouvé.
Philippe Leuckx
Anne Brousseau a publié en revues ; elle dirige les éditions Potentille.
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