Ruines, Perrine Le Querrec
Ruines, 2017, 64 pages, 12 €
Ecrivain(s): Perrine Le Querrec Edition: Tinbad
Blaise Cendrars affirmait dans Bourlinguer, en 1948 : « on ne dira jamais assez la part du féminin dans l’écriture ». Des femmes, à la fois écrivains et artistes, marquèrent en effet d’une présence et d’une encre indélébile l’histoire de la littérature et des arts – Joyce Mansour, Nelly Kaplan, Frida Kahlo, etc, Unica Zürn :
« Nora Berta Unika Ruth
Devenue Unica l’Unique
La secrète et la discrète
Devenue Unica l’Unique
La ficelée et l’échevelée
Devenue Unica l’Unique
Visages, fagot de failles
Devenue Unica l’Unique
Hans et Unica
Devenus Unica l’Unique »
Comment écrire sur la femme (qui) s’entête (en référence au colloque de Cerisy-la-Salle qui eut lieu en 1998 et dont le sujet de réflexion examinait la part du féminin dans le surréalisme : La femme s’entête. La part du féminin dans le surréalisme), une femme-Écrivain-Artiste jetée à corps-existence éperdus dans l’espace angoissé/enserré du texte/sexe, poupée fêlée nouant et dénouant sa vie par les fils distordant et/ou tendus à l’extrême, jusqu’au bord du vide où la folie pourrait tout/soi défenestrer et casser les fils de respiration/de suffocation reliant à l’Autre…
« Unica voudrait être seule, voudrait couper les fils
qui la retiennent encore à Hans
Unica voudrait ne plus penser, remiser dans
les limbes ces années soumises
Unica voudrait ne pas le sentir, là, dans les ombres,
qui s’active, transmet des paquets de dessins à signer
des textes à superviser, des accords à donner,
des avis à rendre,
Il ne franchit pas la grille mais reste devant
des heures durant
Il ne franchit pas le seuil mais interroge médecins,
infirmières, amies
Il veut tout savoir, omniprésent, il veut Unica
Son salut et son âme
Qu’Unica dise “non”, qu’Unica chambre à part,
qu’Unica disparaisse, qu’Unica folle
Hans est là, veille tentaculaire
Comment s’en défaire ? »
Comment écrire (sur) Unica allant au bout de l’amour perdu ?
Ruines – ainsi Perrine Le Querrec titre-t-elle cet écrire sur Unica Zürn.
Cet écrire sur, car le Dit ne peut qu’y être en perpétuel mouvement, dans une dynamique de qui se veut hors les murs, de qui se bat tel un oiseau pris au piège de glu, de qui s’échappe en même temps qu’il se laisse happer par l’emprise.
L’emprise, est-ce elle que figure l’alignement justifié à droite, à l’envers de la topographie des vers habituellement alignée et justifiée à gauche ? Des visages, d’un même « fagot de failles », brûlent dans le corps du texte, où les membres d’Unica (« Un sein comme un éventail / un ventre en plissé rose / une nuque comme un paon / des jambes de tulle froissé / un cou en ruban / Sur le canapé noir, Unica assise / dans un silence de presque morte ») se désarticulent, comme des éclats de silence au bord du cri de la Langue, comme un jouet démonté, démantibulé – pour reconstruire quelle morte-vive ?
Mais cet amour à perte, en est-il ? Dans L’Homme-Jasmin (mêlant l’esthétique de la création littéraire à l’auto-arto-graphèmo-thérapie), apparu à Unica après l’effacement de la Mère-araignée dans une vision hallucinatoire, et qui devient pour elle l’image de l’Amour (l’Absolu), elle écrit plus précisément que la cristallisation dont est cause l’Homme-Jasmin dans sa pensée, est bien plutôt de l’ordre de la jouissance :
« Elle ne croit même pas que cela ait quelque chose à voir avec l’« amour ». Ce serait plutôt la frayeur profonde et inguérissable qu’elle a éprouvée lors de sa rencontre avec lui », « (…) il est le proche absolu, étant le vieux fond archaïque de l’âme », « Il est l’amour – mais, sans elle qui le profère en langue, sans elle qui l’a épousé ! il est le centre du vide. Il est l’Un et elle est en lui celle qui se nomme Unica ».
Comment, par le filtre du regard sur, exprimer l’univers de folie d’Unica l’Unique fondue, se dissolvant dans la traversée du fantasme ; comment dire l’univers de celle qui expérimenta la création comme elle connut l’existence, par les gouffres, manquant de se perdre à chaque saut dans le vide / à la ligne, en se fondant dans l’Un-l’Autre / Unica-Hans ?
Si Vivre est Dire et que le travail auto-thérapeutique de l’Écrire ne saurait se circonscrire en un récit autobiographique ; si l’écriture du retour, ponctuée d’éclats d’anagrammes, conjugue l’application de « l’inconscient structuré comme un langage » avec celle de la jouissance « à la lettre » – comment dire la « lacune natale » – selon l’expression de Luce Irigaray – chez Unica, – comment dire Unica ?
Perrine Le Querrec nous dit les Ruines de la Femme-poupée fêlée, cassée, « poupée tordue » face à l’Homme-Hans.
« Elle serait comme une enfant échouée.
Son seul jouet, la phrase qu’il lui a jetée
hochet de mots, collier de langue.
Il l’observe un moment, s’amuse de ses
maladresses
contrôle l’étanchéité du silence,
referme la porte.
« Ne pas entrer »
La lettre sert de corps – la lettre serre le corps ».
Effraction. Dans l’Autre épuisée à l’amour mortifère, intrusif, violemment. Jusqu’à la folie. « Terreur de l’effraction. / Il fouille et appuie / sur les ruines ». Mais une fenêtre dessine l’appel d’une autre aire. Pour échapper au corps-en-ruines UnicaHans ?
Dans Sombre Printemps, p.71-72, Unica Zürn écrit : « À présent elle sait enfin pourquoi elle vit : parce qu’elle devait “le” rencontrer ». Puis : « Qui pourrait supporter l’amour sans en mourir ? », « Oui, elle en est sûre maintenant : elle est venue au monde parce qu’elle devait le rencontrer. Et avec cette rencontre, sa souffrance commence, profonde comme un abîme ». À la pensée de ne plus le revoir, elle sombre dans le désespoir (Ibid., p.96) : « Elle regarde par la fenêtre et pense à sa mort prochaine. Elle a décidé de se jeter par la fenêtre… Combien sont-ils dans ce monde, debout devant leur fenêtre qui projettent de se jeter en bas ? »
UnicaHans engloutie par l’Autre, happée par la fenêtre.
L’engloutissement, Perrine Le Querrec nous le figure entre autres par les passages biffés, le caviardage de lignes entières, la précipitation d’un langage se désarticulant prêt du saut dans le précipice :
« Hans va donner une phrase à
Unica vient jouer avec les mots de
Hans va chercher la ficelle pour
Unica vient tendre les bras vers
Hans va sangler les cuisses d’
Unica vient d’être immobilisée par
Hans va tirer son portrait et
Unica vient d’apparaître décapitée »
UnicaHans précipitée dans le vide/risque absolu de vivre par-dessus bords.
Murielle Compère-Demarcy
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