Rouge, Hovik Afyan (par Guy Donikian)
Rouge, Hovik Afyan, éditions La Peuplade, octobre 2024, trad. arménien, Anahit Avetissian, 159 pages, 20 €
![Rouge, Hovik Afyan (par Guy Donikian)](http://www.lacauselitteraire.fr/cache/com_zoo/images/81bxyg46t9l._sl1500__cb43507b4190f2d18383750f3f1b55a4.jpg)
La quatrième de couverture le dit : ce texte est une histoire de rêves et de souffrances. Il a été publié un mois après la fin de la deuxième guerre du Haut-Karabakh, ce qui éclaire de nombreux aspects de cette histoire, qui mêle un imaginaire « naïf » de prime abord et des drames liés à la guerre. Ce roman peut être lu comme un témoignage des comportements en temps de guerre, mais également comme une ode à une culture, des traditions mises en danger par l’ennemi dont le but, dans cette guerre oubliée, n’est autre que l’effacement pur et simple de toute trace arménienne sur des terres arméniennes depuis trois millénaires. Le Haut-Karabakh est aujourd’hui azerbaïdjanais…
Aram, et Arous, son épouse, vivent une période difficile. Ils sont mariés depuis plus de vingt ans, et un vide est désormais ce qui les « unit ». Ils n’ont plus le fort sentiment qui les unissait quand lui, peintre, et elle, danseuse, se vouaient une admiration réciproque et un amour qu’ils pensaient éternel : « Arous avait compris qu’Aram n’était pas du tout un homme spécial, comme elle l’avait cru lorsqu’elle l’avait remarqué pour la première fois, lorsqu’ils s’étaient embrassés pour la première fois ». Ils étaient arrivés « à la fois à la fin de leur amour et de leur pays ».
C’est pourquoi on les trouve au début du texte en voiture, en route pour un exil qui devrait leur permettre un nouveau départ. Mais il vont trouver les corps de deux enfants, qu’ils vont déposer dans le village le plus proche et s’en retourner à Erevan.
Alors que la guerre est toute proche, eux ont comme préoccupation la fuite hors du pays ou la poursuite d’une histoire sans fondement. Hovik Afyan va s’ingénier à nous narrer les conditions qui ont prévalu pour que tous les deux ignorent à leur façon le contexte dramatique du conflit, conflit qui va cependant les rattraper.
Les raisons pour lesquelles lui est peintre et elle danseuse sont l’occasion pour l’auteur de mettre en scène les histoires familiales qui révèlent les espoirs et les blessures des Arméniens. Hovik Afyan utilise ainsi deux temporalités, celle de l’actualité de la guerre et celle du communisme qui aura sévi pendant tout le temps de l’Union Soviétique : « Avant c’étaient les Turcs couleur sang qui l’interdisaient, ensuite les communistes rouges ». Il s’agissait ici d’une Bible…
Elmira est une voisine du couple. Son mari, revenu de la guerre, est handicapé et aveugle, ce qui a son importance quand on apprend qu’Elmira, qui a toujours apprécié l’art pictural, va offrir ses services à Aram : elle sera son modèle, ce qui permettra à son couple de subvenir à ses besoins.
Aram a grandi dans une maison où deux couleurs seulement ornaient les pièces : le blanc et le bleu. C’est pourquoi, il n’aura eu de cesse de chercher d’autres couleurs et sa carrière de peintre s’explique par cette recherche.
Dans le village, on s’organise pour ne pas tomber sous les coups de l’ennemi. Les femmes et les enfants sont réunis dans un abri, sous la garde de Frounze, handicapé, qui gère toute la vie au quotidien. Mais les attaques ont parfois lieu la nuit, et l’ennemi parvient à faire des prisonniers. Ce fut le cas pour Artsoun et son cousin de la diaspora, Raffi.
Tout ceci n’empêchait nullement Aram de peindre. Elmira venait chaque jour poser pour lui : « Il ne sortait presque plus de l’atelier, où ne venaient plus de modèles. Aram peignait sans cesse, sans regarder autour ». Il n’y avait dans ses tableaux ni bleu ni blanc…
L’art et la guerre sont en définitive les deux protagonistes de ce texte, où se mêlent imaginaire, traditions. La mort est présente mais les dernières lignes montrent la volonté de vivre, et de vivre dans l’esthétique.
Guy Donikian
Hovik Afyan est né en 1983 à Abovyan, en Arménie. Il est auteur et éditeur. Rouge est son premier roman.
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