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Rouge assoiffée, Claudine Bertrand

Ecrit par France Burghelle Rey 03.05.16 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

Rouge assoiffée, Typo poésie, Éd. Typo, 2011, 400 pages, 15 €

Ecrivain(s): Claudine Bertrand

Rouge assoiffée, Claudine Bertrand

 

Par le titre de son anthologie, qui rassemble quinze recueils publiés de 1983 à 2009, Claudine Bertrand évoque au féminin amour et passion et l’ensemble des recueils le fait avec une poésie d’une richesse exigeante et dans un véritable hommage à la langue et aux mots.

Une étude exhaustive serait vaine ici. Il suffira de privilégier quelques aspects de l’œuvre pour rendre compte du génie de l’auteur.

Dans la première moitié du recueil la poète alterne l’expression en vers libres et celle en prose avec des textes qui, parfois brefs, vont jusqu’à se réduire en versets. C’est seulement à partir du Jardin des vertiges (2002) qu’elle trouve sa mise en page et choisit définitivement une disposition en vers libres, avec son rythme souple et musical et sa concision silencieuse. Ceux-ci présenteront, de plus en plus, pour affronter la vie et son destin, une maîtrise du vocabulaire ainsi que la simplicité d’un style souvent lapidaire et porté à la perfection, sans compromis, sans arbitraire comme dans Autour de l’obscur (2008) : « Profaner le fatum / Ce qui lui ressemble / Tirage au sort ».

Grâce à un certificat de scénarisation cinématographique, l’œil de Claudine Bertrand s’est fait caméra au service d’une écriture visuelle et dans ses textes liminaires, ceux de Mémory, par exemple, chaque cadrage embraye sur le précédent et les voix se multiplient comme des angles de prise de vue. Le lecteur des recueils récents se réjouit alors d’avoir confirmation de son admiration pour la poétique qui s’ouvre ici et offre tout son potentiel : « lente déchirure / de cette femme / mise à nue / voir soudain / l’œil de voyante ».

Au départ de la réflexion sont déjà convoqués les thèmes de la mémoire et du deuil récurrents dans l’ensemble de l’œuvre, avec le questionnement qui, d’évidence, va de pair.

Pour évoquer la mort : « jamais elle ne reverra son père et sa mère » (La Dernière femme, 1991), des mots concrets et choisis avec précision se font écho au long des recueils « ombre », « chaos », « crânes », « os », « guerre », « pierre tombale ». Cette dernière donnera lieu plus tard en 2005, sous le titre Pierres sauvages, à un magnifique développement sur la vie d’une matière devenue vivante : « La pierre crève les yeux du miroir ».

Ainsi se fait la quête conjointe de l’identité pour celle qui écrit : « je suis déjà morte » (Nouvelles épiphanies, 2003) ajoutant plus loin : « Dire je est lourd / surtout quand il fait défaut ».

Point n’est donc besoin de nouveaux mots, d’un nouveau langage à décrypter pour celle aussi qui, même en errant – « je perds l’écriture » dit-elle, dans le très bel opus A 2000 années-lumière d’ici(1999) – a le verbe simple et l’alliance innée du son et du sens : « depuis le début des temps / je m’appelle Constance / malgré tout je me sens prête à décoller ».

Et c’est dans la violence qu’il lui a fallu vivre et écrire là sa souffrance. Cette même année, Tomber du jour évoque la tornade qui détruit « maisons, villes et villages » et s’achève par une terrible chute : « Tombeau des regrets ». Tombera aussi la pluie en 2004 (Chute des voyelles) « à la recherche des pleurs  / Cette souffrance / jusqu’au dernier battement du monde ».

Mais la solitude à la fois de l’esprit et du corps « en réclusion », comme la recherche de l’identité de « l’orpheline / en deuil de soi », trouvent en l’écriture le meilleur adjuvant possible. Déjà en 1994 dansLa Montagne sacrée, avant même le mitan de l’anthologie, le verbe apparaît magnifié et semble la solution suprême à un destin décrit mot à mot ainsi que le fait une dentellière pour former ses jours : « Une parole / s’enracine au temps immémorial / Me délivre d’un secret trop lourd / une voix la plus déchirante / Réamorce le divin ».

Dans « un cantique de l’âme » et « en un poème symphonique », l’écriture assiste la mémoire par sa présence au monde et prépare la poète à l’accès vers la lumière. Celle-ci écrira dans Pierres sauvagesencore : « un mot à la fenêtre / éclaire le paysage ». Elle qui disait dans sa première prose : « Je ne suis qu’une fiction » annonce ainsi la renaissance, corrélative aux deuils multiples, qu’elle avait d’ailleurs pressentie dans une superbe assertion : « je suis une perpétuelle voyelle dans ce paysage sans limite » (La Dernière femme). Elle ne savait pas alors combien elle disait vrai et ignorait qu’une aventure de plus de vingt ans s’offrait à elle.

Avec Le Corps en tête en 2001, le troisième millénaire s’ouvre sur une constatation positive : « Je commence à entendre ce que je n’entendais pas ». Le monde, comme le corps lui-même, sont perçus dans une certaine jubilation. Se confirme enfin la joie ressentie à exprimer son existence par l’écriture poétique. Voici que l’année suivante, l’écriture, au service de la nature et du cosmos, rejetant les métaphores usées au profit d’expressions originales comme celle du « ciel jongleur » honore le corps et, plus encore, l’être féminin tout entier, lui qui « enlace le minéral / de baisers malicieux / sous un ciel ivre » (Jardin des vertiges).

L’amour encore y est exalté quand « Un cœur fuit / sous la verrière / de roses et de clématites » et qu’il « se révèle enflammé / de toutes lèvres complices ».

Il s’agira donc bien d’espoir dans Pierres sauvages car le voyageur, même s’il fuit, entend ce vers : « Voyageur, debout / c’est vers loin / que tu marches », et reçoit, par ces mots joyeux, toute la promesse d’un temps-espace offert à sa liberté.

Mais néanmoins restent encore des questions qui, dès les premiers temps de la réflexion, étaient là et l’écriture est elle-même objet de doute. En effet, Claudine Bertrand, à la lire, n’est pas toujours certaine que ses mots forment un poème. La douleur s’exaspère dans les derniers recueils quand la mémoire se trouve au comble du manque : « Je ne sais plus mon nom » et que son corps est malade au point qu’elle crie en une belle et émouvante paronomase : « Je n’ai plus de prière / …Je n’ai plus de pierres / ni de père » (Ailleurs en soi, 2006). Mais juste après, dans un sursaut, elle exprime sa décision d’« extirper le verbe / du verbiage / du vacarme / pour éloigner le banal / et rendre le mot à la bouche ». L’objectif essentiel est donc toujours bien le verbe.

Les mots étaient déjà en 2001 les compagnons de la femme renaissante :

« Dentelles, satin, tulles mousseline lui font un

cortège de sonorités sous le palais.

Un flux de lumière coule dans le corps de la pensée ».

Enfin dans le dernier recueil (Passion Afrique, 2009) la poète se fait le « passeur » de cette lumière, la voix « renonce à se taire » quand, « derrière chaque syllabe », est repoussée « la frontière ». On se souvient que celle qui s’identifiait au E n’a pas hésité, pour faire jouer la musique, à introduire dans sa poésie l’anglais ou l’italien.

C’est tout cela, avec la variété des moyens, la fidélité aux thèmes et l’harmonie d’un certain lyrisme évident malgré l’économie des mots, qui fait l’originalité et la valeur de l’anthologie Rouge assoiffée de Claudine Bertrand.

 

France Burghelle Rey

 


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A propos de l'écrivain

Claudine Bertrand

 

(Montréal, le 4 juillet 1948 -) Poète, Claudine Bertrand étudie à l'École normale et à l'Université du Québec à Montréal, où elle obtient une maîtrise en études littéraires. À partir de 1973, elle enseigne la littérature au niveau collégial et collabore à diverses revues, dont notamment Montréal now ! ... Intervention, La Nouvelle Barre du jour, Les Écrits, Hobo/Québec, Possibles, Rampike, Doc(k)s, Mensuel25, Moebius, Estuaire, Écritures, Tessera, Bacchanales, et Acte Sud.

Elle est aussi chroniqueuse de poésie à la radio de l'Université de Montréal. Fondatrice de la revue Arcade en 1981, elle a dirigé les éditions du même nom et créé le Prix de la relève Arcade en 1991. Cette revue a été l’objet, en 1996, d’un colloque à l’Université Paris 8 (Vincennes) qui soulignait une contribution assidue aux échanges culturels France / Québec. C’est dans ce but qu’elle a créé, en 1999, la prestigieuse collection internationale de poésie «Vis-à-Vis», aux Éditions Trait d’Union.

 

A propos du rédacteur

France Burghelle Rey

 

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Rédactrice

Domaines de prédilection : poésie, littérature

Genres : recueils, essais, récit

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, éditeurs divers

France Burghelle Rey est Paris, a enseigné les Lettres classiques et vit actuellement à Paris où elle écrit et pratique la critique littéraire. Elle est membre de l'Association des Amis de Jean Cocteau et du P.E.N. Club français.

Plus de cent textes parus dans de nombreuses revues et anthologies ainsi que plus de soixante-dix notes critiques(Nouvelle Quinzaine littéraire, Poezibao, Europe, La Cause littéraire, Place de la Sorbonne, CCP, Recours au poème, Texture, Temporel etc.).

Elle a écrit une quinzaine de recueils dont Lyre en double paru aux éditions Interventions àHaute voixen 2010 puis chez La PorteRévolution en 2013 suivi de Comme un chapitre d'Histoire en 2014 et de Révolution IIen 2016. Le Chant de l'enfance(Prix Blaise Cendrarsadultes) a été publié aux éditions du Cygneen juillet 2015, Petite anthologie, ( Confiance, Patiences et Les Tesselles du jour )chezUnicitéen 2017 et Après la foudrechez Bleu d'encreen 2018.

 

Les derniers textes augmentés de L'Enfant et le drapeau (à paraître chez Vagamundo), naissance rédemptrice d'un " ange " dans un monde en désolation, veulent exprimer l'expression d'une nécessaire présence au monde en souffrance. Elle achève en 2017 un recueil encore inédit en trois parties sur le thème du lieu puis en 2018 commence un récit poétique.

 

Elle a collaboré avec des peintres (Georges Badin) et la graveur Hélène Baumel pour un certain nombre de livres d'artistes.

L'un des ses romans, le premier,  L'Aventure, est publié chez Unicitéau printemps 2018

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