Rimbaud, Dernier voyage, Alain Vircondelet (par Marjorie Rafécas-Poeydomenge)
Rimbaud, Dernier voyage, Alain Vircondelet, Editions Ecriture, avril 2021, 200 pages, 19 €
La lente agonie d’un poète ressemble à un voyage. Un voyage mêlant puissantes réminiscences, tensions familiales, espoirs fous, la souffrance abyssale d’un Albatros coupé de ses ailes. Alain Vircondelet nous raconte dans un style poétique rimbaldien la tragique amputation de notre poète maudit et prodige, cette amputation totale, et pas seulement de sa jambe. Sa mère droite et glaçante restera sa principale amputation.
Rimbaud pressent à Aden que les chiens jaunes flairent sa mort prochaine. Couché sur le pont du Bateau qui le reconduit à Marseille, son corps est arraché par la douleur, accentuée par le silence de la mer et la « rumeur chuintante des sirènes ». Rimbaud avait voulu fuir l’Occident sédentaire, le manque de poésie des Ardennes, pour l’Orient et ses parfums d’or. Le voici contraint par son corps malade de retourner à la case départ, celle des « races sédentaires » au détriment du dérèglement des sens. Partir ne sera plus possible. « Zanzibar, le mot qui résonne sous les étoiles comme des breloques d’argent accrochées au ciel » se cogne contre la douleur de son genou. Retour aux « demeures étriquées de Charleville ». Adieu à l’alchimique et clinquant Orient.
Sur son lit d’hôpital, Rimbaud s’interroge sur la foi de sa mère, ses bondieuseries, est-il allé trop loin dans la défiance de dieu… A-t-il démesurément poussé le vice de la décadence ? Tant de vers pour terminer seul et incompris. Ses poèmes étaient des esquisses de son avenir. Voyant, clairvoyant, les voyelles l’ont dépassé. Le risque de la solitude extrême, sans jamais s’agenouiller, Rimbaud l’a vécu jusqu’au bout de son unijambisme. Pas d’agenouillade possible pour ce poète rebelle. Alain Vircondelet décrit avec finesse les circonvolutions de doute et de remords qui torturent les dernières heures du poète abandonné et retranscrit par moment les propres expressions du poète en italique. Le langage rimbaldien ricoche alors sur les pages comme des petits éclats d’illuminations.
Sa mère l’abandonnera sur son lit d’hôpital à Marseille pour retourner à ses devoirs de paysanne. Le travail, la rigueur, point de salut en dehors de la dureté de la Roche. Adieu aux rêves perdus et frivoles de son fils. Aux faux rêves, elle préfère les haillons pourris et les soupirs empestés. « La joie adolescente n’est qu’un leurre ». Encore une défaite : le bonheur ! Sa dent, douce à la mort. La douceur des mères n’est qu’un pâle enfer.
Seule sa sœur Isabelle a pitié de ce frère fragmenté. Elle croit en ses profondes prières et qu’elle pourra déjouer la mort. Elle le ramènera à Roche, dans sa féroce enfance, une saison en enfer. Mourir près de sa mère, « reine des glaces » est-ce la bonne idée ? La terre purgatoire de Roche tétanise Rimbaud. Isabelle accepte alors les caprices de son frère et le rapatrie à Paris. Il lui faut encore fuir, même pour mourir. Un ange maudit se doit de mourir dans la ville éternelle des grands artistes. Rimbaud blasphème, se sachant damné à jamais, mais la douce Isabelle le tient par la main et ne lâchera jamais ce pauvre garçon qui s’en va petit à petit. Rimb’ a demandé à Satan de l’aider à franchir l’invisible. Mais comme il aime sa sœur, il se confesse. Tout en ne croyant toujours pas en la miséricorde et la vie éternelle. Sa sœur lui instille malgré tout le doute. Le 10 novembre 1891, le feu Rimbaud s’éteint, tel un soleil abandonné. Il aurait préféré que crèvent « les planqués qui ligotent les rêveurs », les hyènes furieuses qui « mordent au pied des poètes caravaniers ».
Ce dernier voyage permet de saluer le poète dignement, pour que son regard ténébreux et perçant illumine encore nos espoirs d’adolescence éternelle.
Marjorie Rafécas-Poeydomenge
Ancien professeur de lettres et maître de conférences, Alain Vircondelet est l’auteur d’ouvrages de références sur Marguerite Duras, Albert Camus, et Saint Exupéry. Il est reconnu pour son talent de biographe.
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