Rien n’est perdu Tout est perdu, Philippe Leuckx (par Eric Allard)
Rien n’est perdu Tout est perdu, éditions Les Lieux-Dits, Coll. Cahiers du Loup bleu, juillet 2021, 36 pages, 7 €
Ecrivain(s): Philippe Leuckx
Ce recueil de Philippe Leuckx s’inscrit sous le signe du retour (« Chaque jour je reviens vigile / border l’enfant perdu » (…) « Neige revenue poudrer / le ciel de marbre »). « Un air de printemps » imprègne ses pages même s’il charrie de récentes et durables blessures.
En coulant les anciennes fatigues dans le renouveau printanier, sans évacuer la mélancolie qui garde trace des affects, dans cette confiance accordée à la nature et aux éléments, le poète fait le pari de la vie sans cesse recommencée.
Poésie ultrasensible que celle de Leuckx qui ne verse jamais dans l’impudeur des sentiments et des douleurs. Pas de détails expressément narratifs, d’exposition de soi sans le filtre du verbe : le poète y met les formes, il s’agit d’habiller les affects pour les déposer sur la page, dans ce souci de partage avec le lecteur qu’est pour lui l’écriture. Le domaine de l’intime est précieux, il réclame des trésors de soin.
Parfois le poème est si proche
de la lumière qu’on a peur
de le briser en le posant
il est paré de détresse
d’une solitude sans nom
La perspective d’un voyage à Rome est envisagée, lieu de l’éternel retour, pour renouveler l’âme, raviver l’espoir au « silence des pierres » et au « goût de l’herbe sèche sur les lèvres » comme aussi à « la nuit romaine ».
« Rien n’est perdu, tout est perdu », disait l’être cher dont ce recueil porte la marque fervente. Entre tentation de l’effacement des souvenirs et permanence de la perte, il s’agit de se frayer un chemin dans le temps à venir pour réoccuper le présent.
Philippe Leuckx indique des équivalences, des accords secrets entre la demeure où l’on vit et notre moi quand il écrit « la maison [qui] touche le jardin côté cœur », « Y habiter aère les mots » ou « On se remet à espérer escalier après escalier ».
D’une façon générale, il trouve l’usage le plus adéquat des mots pour dire les choses du cœur et l’émerveillement des heures. Le cœur, chez Leuckx, est plus concret que l’âme. Il est relié au passé et s’arcboute au réel. Il tremble plus qu’il ne bat, c’est le souffle de la vie, sous toutes ses formes, qui l’anime et l’entretient. Sève et sang mêlés. Le cœur a à voir avec le silence et les ombres même s’il se nourrit de lumière.
Le cœur est toujours à (re)chercher, à ne pas égarer. « Où avait-il rangé son cœur ? » s’interroge, un moment, le poète. Le cœur est la maison de l’être.
La joie loin des syllabes du corps
se conquiert dans le peu
le ténu le souffle
Respire l’air qui te vient
d’ancêtres déjà en cendres
Plus loin, on lit aussi :
L’enfant au loin brasse le temps
Jette aux oiseaux un peu de lumière
Pour la nuit qui vient
Dans ce recueil tourné vers l’enfant, la lumière du jour, le poète reprend espoir, il habite à nouveau l’instant comme un présent cher, chargé d’un passé personnel comme de l’avenir du monde.
Veille aux mots
qui prendront le relais
quand sève sang
ne seront de rien
au corps dispersé
même plus de lèvres
pour les hisser au jour
comme l’amour
glissé en semence
Rien n’est perdu tant qu’il reste l’amour et la poésie.
Éric Allard
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