Rien à voir avec l’amour, Claire Gallen
Rien à voir avec l’amour, janvier 2018, 297 pages, 21 €
Ecrivain(s): Claire Gallen Edition: La Brune (Le Rouergue)
Qui autour de nous n’a pas dit un jour en fronçant le nez – bof, c’est un film français… qui. Les mêmes, sans doute, de détourner les yeux des « romans français », parce que voyez-vous, l’Amérique ! sa littérature et ses films, c’est quand même autre chose…
Alors qu’ils viennent ces gens, devant ce Rien à voir avec l’amour – le roman aujourd’hui, n’en doutons pas, le film demain.
Le titre pourrait nous perdre un peu, convenons-en, qu’on ne s’y fie pas trop. Second roman d’une auteure qui semble écrire-Amérique, regarder-Amérique, penser peut-être Amérique, et signe ici un « roman américain », magnifiquement français et plus que prometteur. Sa formation journalistique, du reste, et notamment AFP, est probablement à la racine de cet effet gros paquets de mer sans essuie-glaces, quotidienneté volontairement non littéraire ; le dru, le précis et le rapide, le cœur de cible étant ici un langage sinon une atmosphère. Récit fort comme d’autres écritures d’outre Atlantique – chacun fera le rapprochement qu’il choisira – situées dans les banlieues de L.A., noires à force d’être éclaboussées de tous les néons des turn pike. Récit mi-ombres, mi-flash aveuglant, cogneur, inquiétant, aux personnages de roman noir absolu, policier ou thriller psychologique.
Alors, américain ce Rouergue ? D’abord et surtout par sa facture et son écriture nerveuse, bougeante, en temps réel, dynamique, enchaînant scène sur scène, plan sur plan, comme à Hollywood, avec sur la page de script le déroulé de dialogues cavalcadants en langage familier, et souvent cru, agencés au soupir près comme la vraie vie :
« Tu es dispo ? Bien sûr que je suis disponible, pour lui, je suis toujours disponible, c’est la règle depuis le début, répondre oui quand il appelle même s’il me réveille au milieu de la nuit. Pas de préférence ni de sentimentalité. Sinon, tu sais, j’ai une liste longue comme ça de filles qui attendent. Des plus jeunes, des moins chères. Des filles qui ne m’emmerderont pas si j’ai un peu de retard dans ma trésorerie. On attend pas mal de monde ce soir. Tu peux être là à onze heures ? ».
Comme dans les meilleures tragédies classiques – registre qui peut parfaitement convenir à l’histoire – les unités ont beau jeu : de temps (la nuit des boîtes mal insonorisées crachant les basses binaires en bordure des villes), de lieux – jamais dit mais Le Havre campe, magnifique, en haut de l’affiche, son bord de mer froide, ses galets, ses quartiers industriels en friches reconverties dans entrepôts et salles pour musique, à moins que le contraire, le poids de l’histoire des destructions de la guerre, l’architecture unique de son centre reconstruit… Le Havre ne pouvait pas ne pas être un des héros de ce livre. Le « Méphisto », la boîte de nuit des banlieues, autre centre de l’histoire racontée. Son proprio, Samuel, qu’on porte clairement dans notre œil-rejet tout au long… enfin, pas exactement. Et puis, elle, celle à qui l’autre ne cesse de dire ce – t’es dispo ? – refrain qu’on remâche tout du long, avec pas mal d’amertume comme note de fond. Histoire lente et toxique d’une emprise. C’est du moins ce qu’on croit longtemps. De temps à autre, comme strates intercalées dans un millefeuille peu comestible, des surgissements de mémoire racontent : une maison qu’on retape, un mari, Rodolphe, l’ami de Samuel et une petite Marie très aimée… enfin, tout ça en vraiment moins simple ! Ne comptons pas sur la conjugaison pour aider à une mise en ordre de la cacophonie affecto-psycho-traumato qui nous est proposée ; la boîte du Havre et le temps de Marie au jardin sont tous chantés au présent.
Cependant, et en conformité avec le climat du coin, propice aux brumes de mer quand ce ne sont pas francs brouillards, des pans finiront par se dégager, et en bon polar, on n’en reviendra pas ; piscine, noyade, abandon… terribles quarts de tour pour nos projections initiales. Mais, en excellent roman américain, plus d’un tour dans les pages et le complexe des psychés nous obligent au doute, aux interrogations et aux retournements. Parfois c’est carrément maître Hitchcock qu’on convoquerait volontiers derrière une future caméra…
Prenant. Pas une miette ne reste, la dernière ligne bue. What else ?
Martine L Petauton
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