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Richard Millet entre deux rives, 2 livres, par Jean-Paul Gavard-Perret

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret le 09.11.17 dans La Une CED, Les Chroniques

Richard Millet entre deux rives, 2 livres, par Jean-Paul Gavard-Perret

 

La nouvelle Dolorès, Richard Millet, Editions Léo Scheer, septembre 2017, 210 pages, 18 €

Rouge Gorge, Richard Millet, Jean-Gilles Badaire, Fata Morgana, 2017, 32 pages

 

Richard Millet entre deux rives

La littérature de Richard Millet est une quête dont le corps, avant le texte, est la surface d’enregistrement. Il est nécessaire que le second soit soumis à la force du premier pour émettre une sensation et le cri plutôt que l’horreur ou l’extase, c’est-à-dire exprimer le corps surpris, par une force invisible, le faisant crier, et non un spectacle horrible ou érotique.

Les descriptions ne sont là que pour donner sens à un fait interne du sujet en tant qu’expérimentation vécue de l’intérieur du corps. Millet sait à la fois la restituer, fixer et mettre à distance, c’est-à-dire représenter le visible en une littérature non de visualisation « cinématographique » mais de la présence.

C’est là ce que Deleuze nomme une littérature de l’hystérie, en ce sens qu’elle renvoie à un état de pure présence à la sensation et de rupture de toute mise à distance du réel par sa production littéraire et littérale en passant de la figure au figural.

Chaque texte de Millet est donc une aventure en soi et de soi. Son « soi » qui ne cesse de changer de direction, brisé, cassé, détourné, retourné sur lui ou prolongé hors de ses limites, là où chaque expérience vécue est reprise même sous la forme d’une fiction.

Dans La Nouvelle Dolorès, en duo, un flux étrange circule soit par aimantation soit par exclusion. Ce double rapport reste un des enjeux majeurs du livre où tout ce qui se reflète crée une ivresse particulière. L’inerte fait bouger les lignes en ce qui ressemble à un songe, une sortie du temps.

Des nuages semblent s’envoler mais à nouveau s’amoncellent. Un clair de lune vide l’âme d’un accord fugace. Entre l’appartenance, l’apparentement, dans ce duel amoureux, Millet reste aussi proche du monde de la sensation et de l’émotion. Poétique, l’écriture fait entrer dans bien autre chose que ce que Denis Roche nomma « la mort plate » au sujet de la photographie. L’écriture ici prétend à la réalité et le romantisme n’est pas recevable. La « mort » appelée n’est pas de l’ordre de la nostalgie ni de l’ordre d’une remontée des sensations par les souvenirs. Elle revient tarauder l’auteur.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 


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A propos du rédacteur

Jean-Paul Gavard-Perret

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Domaines de prédilection : littérature française, poésie

Genres : poésie

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Fata Morgana, Unes, Editions de Minuit, P.O.L


Jean-Paul Gavard-Perret, critique de littérature et art contemporains et écrivain. Professeur honoraire Université de Savoie. Né en 1947 à Chambéry.