Revue numérique Possibles
nouvelle série, numéro 5, février 2016
Le poète et critique Pierre Perrin (1950) a, il y a quelques mois, relancé sur internet une revue de poésie, du même nom que celle qu’il avait tenue dans les années 75 et 80, papier celle-là (21 numéros, dont des numéros consacrés à Jean Breton et Yves Martin). A la belle appellation de Possibles répondent toutes les attentes d’un genre souvent négligé, voire malmené aujourd’hui, quand il n’y en a plus que pour le roman de grande audience et que le lectorat de poésie se réduit à peau de chagrin. Belle initiative donc pour hâter, qui sait ? une résurgence heureuse.
Le principe de chaque numéro, paraissant le 5 de chaque mois, est de proposer un quadruple éclairage sur la poésie : l’invite d’un contemporain connu fêté ; la découverte d’une nouvelle plume ; une reprise d’un article de la revue papier d’hier ; enfin, une rubrique d’hommage ou de critique.
Le contemporain fêté, en ce numéro 5, est le poète Michel Baglin (1950, exact contemporain de notre revuiste Pierre Perrin), Prix Max-Pol Fouchet, auteur de nombreux livres de poésie, de récits, revuiste renommé. Sa Revue numérique Texture est aussi une invite à découvrir le genre, par le biais d’articles, d’entretiens, d’extraits…
Baglin est ici présenté triplement. Il l’est, d’abord, par le bais de fragments inédits de son œuvre poétique. Ensuite, sous l’éclairage de deux études qui tentent de cerner sa spécificité de poète et de prosateur.
Murs, Les Chiens Perrins, Humus, J’écris pour rendre proposent, comme inédits ou extraits d’œuvres publiées, un regard personnel sur le monde.
Tant de murs enserrent notre société et l’affligent. Le poète Baglin le ressent, lui le voyageur libre des trains et des ailleurs, comme une déchirure.
Lui faut-il le grand air pour aérer sa peine et la soulager, alors il nous donne à lire L’Ile d’Yeu, aux « bocages ensauvagés », quand on a « l’infini loin devant soi » et que « brassent les chagrins ».
Humus, une sorte de répertoire à la Hardellet de définitions poétiques autour du mot, en de petites proses, qui rameute des souvenirs d’en France d’hier : « l’humus est gros de promesses », « Au ras des pâquerettes, on regrette les bœufs et les chevaux, leur crottin et leurs bouses ».
L’extrait d’un dernier livre de poèmes, J’écris pour rendre, songe à faire renaître – comme Moustaki dans sa nostalgique chanson Alexandrie – le fantôme d’enfant qu’il fut, pour dénier le silence, pour vivre enfin et aimer :
« et j’invite, dit-il, chacun au creux de sa mémoire/ à raviver sa soif pour lui donner à boire/ à la source… des sensations perdues ».
Les deux lectures de l’œuvre, par Jacqueline Saint-Jean et Marie-Josée Christien, mettent en lumière « l’amoureux des trains », le marcheur insatiable et le fraternel compagnon des uns et des autres, et de sa chère enfance « modeste ».
Dans des poèmes plus classiques, l’invitée découverte, Marilyne Bertoncini, relate ses visions (La nuit de Lilas). Mais il y a du lyrisme dans cette « meute de mes années » et une vigueur à se dire (« le poignet tatoué du beau signe de mort »). J’aime moins, il est vrai, un certain lexique titré « poétique », tissé de « ramures » et autres « tisons ardents », mais c’est subjectif, comme toute entreprise de lecture de poèmes.
Le numéro propose encore une reprise d’un article de Possibles n°15 du 3è trimestre 1978, sur le thème des Chats d’Europe et autres joyeusetés érotiques, par Marie-Christine Brière. « Sur tes seins à la pointe très brunâtre, trois imperceptibles vergetures m’émerveillent ».
Enfin, Adonis, le grand poète, est lu par Michel Leuba à propos de son livre Soufisme et surréalisme. L’occasion pour mettre en avant le prestige de l’écriture, seule ressource, selon l’écrivain, souvent proposé au Nobel de littérature, pour s’ouvrir au savoir, à l’autre culture, dans une dimension tout à fait personnelle. Une vraie source de dévoilement de l’être.
Un excellent numéro, bien sûr. Varié et fécond.
Adresse de contact : http://longueroye@free.fr/index.php
Philippe Leuckx
Pierre Perrin, rédacteur en chef de la Revue numérique Possibles, né en 1950, est poète, critique littéraire. Prix Kowalski. A longtemps collaboré à La Nouvelle Revue Française.
Philippe Leuckx, poète et critique belge, né en 1955.
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