Reverdy, l’enchanteur…
L’image, en poésie, occupe une place primordiale. Surgie de la confrontation d’éléments de la réalité éloignés les uns des autres, elle peut offrir et ouvrir des possibles créatifs, des perspectives de lecture et d’interprétation. Et transcender le regard. Et transcender la vie.
Ce rapprochement de deux mots ou de deux réalités éloignés crée l’image poétique d’où jaillit l’étonnement : choc visuel sur la page, intellectuel aussi et au-delà. A l’origine d’une véritable transmutation, cette image que Pierre Reverdy définit comme « un acte magique » dans cette émotion appelée Poésie, produit comme des miracles lorsqu’elle touche plus particulièrement l’esprit et la sensibilité de notre quotidien. Une fenêtre alors s’ouvre plus largement devant nous, ou un miroir se traverse, avec pour horizon tout un univers d’« appropriation du réel » par le poète et pour le lecteur, bien plus profonde qu’un simple reflet ou qu’une simple représentation. De même, la réalité que le poète exprime s’inscrit et s’écrit au cœur des choses plutôt qu’à leur surface. Le poème donne à voir sous un autre jour notre vie quotidienne, qui s’en trouve du coup grandie ; un cadre se dessine (car il en faut bien un), qui trace un paysage naturellement jailli au fil des mots.
« La poésie est à la vie ce qu’est le feu de bois,
Elle en émane et la transforme ».
Pierre Reverdy donne à voir un monde en poèmes grâce à cette transmutation qu’il opère en exerçant l’image poétique sur le texte original du quotidien.
Grâce à l’image poétique, l’auteur de Main d’œuvre exprime toute une palette sentimentale d’une humanité sensible et sensuelle, par le biais de la comparaison, mieux, de la métaphore. La force selon moi de l’auteur du Chant des mots est d’exercer l’image poétique au plus proche authentique de notre quotidien. Authentique dans la mesure où la vie quotidienne ici chantée prend de l’altitude, où son existence est ici saisie dans ses traits essentiels. Authentique au sens étymologique du mot qui signifie être l’auteur de ses propres actes, de ses propres paroles. Le poète agit en exerçant sur le texte original du monde la puissance transfiguratrice et fidèle de l’image. « Un poète sans fouet ni miroir », écrivait René Char au sujet de Pierre Reverdy. Le poète ne cède ni à la surenchère ni aux clichés ou effets surfaits dans son maniement de l’image poétique. L’alchimie de ses poèmes a lieu sans forcer l’image : sans forcer notre représentation du monde. Sa poésie souffle – intensément réelle, mine ou l’air de rien – comme un vent de lumière, ce vent qui « sort d’une poitrine », d’« un cœur où chaque mot a laissé son entaille / Et d’où (la) vie s’égoutte au moindre mouvement ».
La force de l’auteur de Flaques de verre, de La Lucarne endormie, des Ardoises du toit, de La Guitare endormie, tient dans sa Main-d’œuvre singulière d’un monde (en-)chanté dans sa justesse et dans son éclat grâce à la puissance de sa poésie. On est là comme aux sources même du vent. Une pesanteur (la vie quotidienne) s’allège, devenant aérienne ; un souffle (le poème) sur le poids devenu délesté du quotidien. Des « étoiles peintes »…
MCDEM (Murielle Compère-DEMarcy)
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