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Retour à Reims, le Retour (par Marie du Crest)

Ecrit par Marie du Crest le 07.01.20 dans La Une CED, Les Chroniques

Retour à Reims, le Retour (par Marie du Crest)

 

Le texte « inclassable », de Didier Eribon, paraissait il y a dix ans chez Fayard. Texte en quelque sorte trans/genre à la fois autobiographie, essai sociologique et politique, parcours intellectuel et témoignage sur la France ouvrière contemporaine de l’auteur. Thomas Ostermeier, directeur artistique de la Schaubühne à Berlin, s’est emparé de cet objet littéraire si particulier pour lui donner forme sur un plateau théâtral d’abord en allemand en 2017 puis en 2019 en français, créé au théâtre de Vidy à Lausanne. Il s’agit d’un « d’après le texte », d’une mise en forme dramatique « basée » sur le livre de D. Eribon.

Il n’est absolument pas rare que des œuvres littéraires échappant, à l’origine, au genre dramatique, soient adaptées pour la scène. Certains auteurs ont pu même, comme le grand Tchekhov, aller de l’écriture d’une nouvelle à celle d’une pièce. D’autres réalisations scéniques aux sources diverses (contes, correspondances, romans, etc.) ont donné lieu à des créations plus ou moins fidèles à l’œuvre-mère. Pour le pire et le meilleur.

Dans le cas de Retour à Reims, Ostermeier a dû considérer la matière hétérogène du texte de D. Eribon, et d’ailleurs il avoue, dans la fiction dramatique, qu’il a rencontré cette difficulté-là, à savoir, quoi garder ou supprimer pour faire théâtre, pour aller vers le spectacle et les spectateurs. Les passages plus théoriques par exemple sur les approches sociales de Bourdieu font problème pour la lectrice et le réalisateur du film documentaire.

Ostermeier a choisi, peut-être à tort, deux perspectives. La première est celle d’une invention dramatique avec ses trois personnages : l’actrice/lectrice, Catherine, incarnée par Irène Jacob ; le réalisateur du film documentaire sur Retour à Reims, Paul (Cédric Eeckhout) ; et le propriétaire du studio d’enregistrement et rappeur à ses heures, Tony (Blade Mc Alimbaye). Il instaure aussi un lieu unique de l’action : le studio et une chronologie d’un jour et d’une semaine plus tard ; quant à l’action, seconde perspective retenue par le metteur en scène, elle consiste à lire certains passages du texte originel lorsque le voyant rouge de départ s’allume, et en écho à la lecture, les images sur grand écran défilent au-dessus du plateau. Les images projetées sont celles assez belles du voyage en train de Didier Eribon, justement de retour au pays natal, des images historiques d’archives, de vieilles photographies familiales ou locales. Gros plans sur les visages d’Eribon à l’âge mûr, seul et à un moment en compagnie de sa mère, mais également d’anonymes travailleurs comme une mémoire des années 70 souvent en noir et blanc. Et puis aussi le surgissement de l’autre Didier Eribon en intellectuel parisien chez Pivot dans sa jeunesse, ou à l’Opéra, au milieu de livres, celui qui a rompu avec sa classe sociale.

Les deux matrices ne fonctionnent pas totalement en harmonie l’une avec l’autre. La « comédie » inventée, malgré elle sans doute, détourne le spectacle, détourne de l’œuvre même de D. Eribon (effets comiques faciles, set de rap en direct, témoignage de Tony sur le sort des tirailleurs sénégalais en se souvenant de son grand-père…). L’unité et la force du texte est finalement mise à mal. On peut se demander par exemple pourquoi la fin du texte sur l’échange entre le fils et sa mère, chargé de tendresse et de curiosité à apprivoiser, signe d’une certaine manière de la réconciliation avec lui-même, pour Eribon, a été effacé. Le théâtre n’a pas eu lieu en quelque sorte puisque le décor choisi est celui du studio et le film fait œuvre et la toute dernière séquence du spectacle se donne en mise en abyme : les trois personnages vus sur scène et simultanément sur l’écran continuent à bavarder entre eux sans que rien ne transparaisse de leurs paroles. Didier Eribon a été évincé. Pourtant Ostermeier semble bien nourrir son travail actuel de ces œuvres françaises où la rupture de classe, l’homosexualité, sont en jeu, et ce, d’une génération littéraire à l’autre. Il a mis en scène, en effet, en allemand, le texte d’Edouard Louis : Im Herzen der Gewalt (Histoire de la violence, texte sorti en 2016).

On peut retrouver l’article consacré au seul texte sur La Cause Littéraire.

 

Marie Du Crest

 

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A propos du rédacteur

Marie du Crest

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Rédactrice

Théâtre

Marie Du Crest  Agrégée de lettres modernes et diplômée  en Philosophie. A publié dans les revues Infusion et Dissonances des textes de poésie en prose. Un de ses récits a été retenu chez un éditeur belge. Chroniqueuse littéraire ( romans) pour le magazine culturel  Zibeline dans lé région sud. Aime lire, voir le Théâtre contemporain et en parler pour La Cause Littéraire.