Rester debout au milieu du trottoir, Murièle Modély
Rester debout au milieu du trottoir, Ed. Contre-Ciel, mars 2014, photographies de Bruno Legeai, 78 pages, 12 €
Ecrivain(s): Murièle Modély
Rester debout au milieu du trottoir ou en tout cas comme planté devant la porte derrière laquelle se déroule ce recueil. On le lit comme on regarderait à travers un œilleton, captant des images, mais surtout des odeurs et des sons. L’imagination galope, mais ce qui se passe réellement reste hors d’atteinte. Des images de Lui et d’Elle, l’homme et la femme et parfois la fille. C’est d’ailleurs peut-être à travers le regard de celle-ci que nous avons accès à une dimension où tous les temps sont ramassés en un seul, celui « Des faux souvenirs, des vrais cauchemars ».
Un recueil comme une multitude de mini-scènes de théâtre à huis-clos, sans public, étouffant. Pas de mise en scène, juste du brut de vie, qui arrache le gosier si on le boit trop vite. Il se dégage de l’ensemble une profonde sensation de malaise, mais toujours chez Murièle Modély cette écriture organique, à la fois subtile et racleuse de fond, dérangeante parfois à la limite de la nausée. C’est comme si au lieu de la lire, on l’avalait, page après page comme
« vieille soupe
mayonnaise pour œufs
flan
tarte
soufflé
farce pour trou »
A avaler comme on avalerait chaque jour d’une vie qui n’a rien d’un gâteau, avec l’amour à déglutir.
« L’amour c’est comme ça
Un appendice planté
Direct dans les gencives »
De l’amour un peu et de solitude beaucoup.
« le poids des jours qui toquent
leur morne cliquetis
Son fol ressassement
contre le chambranle
les femmes que l’on baise
les hommes que l’on brise
et les billets souillés dont on bourre
les ventres »
Les magnifiques photos en noir et blanc de Bruno Legeai, ces corps ou parties de corps plus ou moins floutés, participent à donner cette impression d’avoir pénétré une intimité qui, paradoxalement, nous envahit tout en demeurant hors de portée.
Une intimité qui parle à nos sens plus qu’à notre tête.
« l’impression quand
même d’être pilonnée
par la pluie drue
qui tombe »
Sons, textures et odeurs, de cuisine, de rue, d’urine, de tabac, « l’odeur lactée qui monte des draps sales », des odeurs de l’homme « sa vieille odeur de cale » et de la femme et « la puanteur douce qui monte de la rue ». Et puis des malheurs, d’homme et de femme…
« dans l’arrière salle sur les carreaux cassés
les jambes écartées entre l’urinoir et le lavabo froid »
Murièle Modély a ce don des phrases qui cognent « je suis vide comme une vieille seringue » et la poésie comme liant vient alléger, illuminer, « lécher l’heure ». Elle opère son travail alchimique, une sorte de catharsis pour conjurer le poids de ces vies dont on hérite de ceux et celles qui nous précèdent et nous mettent au monde comme « dans une boite à chaussures dans un magasin quelconque » et ces rêves qui se fracassent, « cette farce des nouveaux départs », tandis qu’on reste planté « debout au milieu du trottoir ».
Cathy Garcia
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