Reportage, Henri Thomas (par Jean-Paul Gavard-Perret)
Henri Thomas, "Reportage", préface de Jacques Réda, 2020, 256 p.26 E..
Edition: Fata Morgana
Henri Thomas, proche de Gide et de la NRF, publie au début des années 40 son premier roman "Le seau à charbon" et son premier recueil poétique,"Travaux d’aveugle". Ayant quitté la France il y revient et reçoit en 1960 pour "John Perkins" le prix Médicis puis en 1961 le prix Femina pour "Le promontoire". La notoriété lui sourit mais suite à la mort de sa femme il ne publie que quelques plaquettes de poésie avant de reprendre son activité littéraire de plus belle au milieu des années 80.
Dans cette période de disette et plus précisément entre 1978 et 1982 il fit néanmoins paraître lors de sa période grise, quarante-deux "Reportages" à la NRF. Pour la première fois ces textes sont enfin rassemblés. S'y retrouvent tout ce qui fait le sel de l'oeuvre de celui qui navigue "entre l’émerveillement d’une présence au monde et l’inquiétude à habiter une existence ordinaire" (Réda)..
Ce que l'auteur nomme "reportage" tient bien plus de la ballade divagatoire de celui qui aime les ports, l’océan vert de gris lorsque la marée remonte au crépuscule. S'y ressent son besoin de liberté. L'auteur ne cesse de tirer à hue et à dia pour faire ce qu'il ne faut pas tel un véritable héros mais aussi un indescriptible homme ordinaire.
Bref il est comme ceux qu'il rencontre : "Les gens ne sont guère descriptibles, saisissables" dans le manteau des mots même si leur étoffe est la même que celle des nôtres. Néanmoins l'être profond (que l'auteur nomme dans un de ses textes "Joseph") reste imprenable, insaisissable.
A qui veut l'atteindre "à travers le manteau, jusqu’à s’emplir de perceptions imaginaires, et bousiller le manteau" la tâche demeure insurmontable : "Joseph a disparu dans le tissu des mots." Et c'est pour Thomas le lot de la nature humaine. Les mots servent au mieux à expliquer les songes - creux en particuliers.
Par sauts et gambades de tels reportages barbouillent le présent dans une errance qui joue de l'ellipse et de la rupture afin d'accorder au sommaire et fugitif l'état de marbre. C'est du moins ce que Thomas feint de nous faire croire. Non pour nous leurrer mais nous amuser au sein d'une sagesse insidieuse et altière. Elle ne pontifie jamais. Bien au contraire. Et l'auteur afin de l'illustrer de rappeler que "même dans cet endroit nommé Veules-les-Roses. On ne saura jamais ce que veulent les roses."
Jean-Paul Gavard-Perret
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