Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale, Simone Weil (par Gilles Banderier)
Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale, octobre 2020, 192 pages, 8 €
Ecrivain(s): Simone Weil Edition: PayotCes Réflexions (qu’on pouvait déjà lire dans le volume de la Collection Quarto, chez Gallimard), composées en 1934, sont une œuvre de jeunesse de Simone Weil, alors âgée de 25 ans. Mais, doit-on aussitôt se demander, qu’est-ce qui n’est pas œuvre de jeunesse parmi les livres écrits par cette femme qui mourut à 34 ans (la remarque vaudrait également pour Mozart ou Rimbaud) ? L’ouvrage ne possède pas le caractère systématique d’un traité sur une question donnée. Il s’agit plutôt d’un essai, au sens étymologique du mot, d’un exagium, pesant les termes d’une question dans les plateaux de la balance.
En 1934, Boris Souvarine, un des fondateurs du Parti communiste français, avait demandé à la jeune femme un article pour sa revue de Critique sociale. Simone travailla tout au long de l’année et il en résulta un manuscrit de 120 pages, évidemment impubliable sous forme d’article et qui ne parut qu’en 1955. Une grande partie de ce livre est marquée au coin de cet irréalisme pesant et paradoxal, car Simone Weil connaissait le monde du travail dans ce qu’il a de plus désagréable et de plus aliénant. Elle n’était pas dans la situation d’une de ces personnalités de gauche dissertant sur la classe ouvrière depuis un appartement des beaux quartiers. On pourrait croire que l’usine l’avait guérie des constructions idéales et par trop théoriques. C’est exactement le contraire qui se produisit.
Dès lors, valait-il la peine d’extraire ces Réflexions, pensées et écrites contre Marx, du recueil Quarto et de les publier de façon autonome (soit dit en passant, on ne sait par quel procédé technique le texte a été mis en page, mais il est consternant qu’aucun relecteur n’ait vu que le « Spin-off » des pages 13 et 101 n’est autre que Spinoza) ? Doit-on les envisager comme un document « archéologique », porteur d’une pensée intéressante pour qui étudie Simone Weil, ou conservent-elles une pertinence, près d’un siècle après avoir été rédigées ? Le texte profus contient quelques pépites qu’il faut se donner la peine de chercher. Weil se montre étonnamment critique pour son époque envers le marxisme et l’anarchisme, qu’elle prend pour ce qu’ils sont : des utopies, en tant que telles génératrices de violence. Parmi les premiers, elle entrevit l’échec piteux du communisme soviétique, incapable de parvenir à ses fins, sinon dans un avenir tellement lointain qu’il en devient chimérique. La technique n’a pas davantage tenu ses promesses, en supposant qu’elle en ait formulé, et elle est devenue un facteur supplémentaire d’asservissement. Seul le capitalisme, qui n’a rien promis à personne, paraît insubmersible, malgré ses crises successives, qui lui semblent consubstantielles et dont aucune ne parvient à l’affaiblir définitivement. C’est surtout parmi les dernières pages du livre que les intuitions fécondes se font les plus nombreuses, lorsque Weil évoque le rôle de la consommation et de la spéculation au détriment de l’épargne et de la production, le crédit auquel on a lâché la bride, l’inutilité de la plupart des produits mis sur le marché (comment lui donner tort ?), le rôle de plus en plus envahissant de l’État. Mais tous ces constats, si justes soient-ils, ne conduisent pas à un programme de réforme concret et, relativement aux organisations susceptibles de changer les choses, Weil fait preuve d’une lucidité désespérante :
« Toutes les fois que les opprimés ont voulu constituer des groupements capables d’exercer une influence réelle, ces groupements, qu’ils aient eu nom partis ou syndicats, ont intégralement reproduit dans leur sein toutes les tares du régime qu’ils prétendaient réformer ou abattre, à savoir l’organisation bureaucratique, le renversement du rapport entre les moyens et les fins, le mépris de l’individu, la séparation entre la pensée et l’action, le caractère machinal de la pensée elle-même, l’utilisation de l’abêtissement et du mensonge comme moyens de propagande » (p.180-181).
Elle ajoute : « Quand se produira la cassure après laquelle il pourra être question de chercher à construire quelque chose de nouveau ? C’est peut-être une affaire de quelques dizaines d’années, peut-être aussi de siècles ».
Et si c’était maintenant ?
Gilles Banderier
La vie et l’œuvre de Simone Weil (1909-1943) révèlent son mysticisme chrétien et son ardente recherche de la justice sociale.
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