Réflexions buissonnières, Frédéric Dechaux
Réflexions buissonnières, éd. Unicité, 2017, 81 pages, 13 €
Ecrivain(s): Frédéric Dechaux
Un Diogène qui ose encore l’espoir. Ainsi parlerai-je de Frédéric. Il pourrait se laisser tenter par une autre option, désespoir, aigreur, colère, silence. Ce dernier, non, ne l’a pas rendu captif en ses murs de solitude, puisque Dechaux écrit. Mais avec l’humour désespéré d’un Cioran qui fracasserait d’un Rire l’absurdité de nos existences, nos fatuités, la Vacuité de nos vies. Frédéric Dechaux a dans ses aphorismes fort à-propos l’élégance d’un sage qui s’ignore ou du moins, qui ne s’en attribue pas le statut. Sagesse naturelle et discrète de ceux qui ne se prennent pas au sérieux. Des passages traduisent la finesse de ses représentations d’un monde dont, écrit-il, nous gardons « les schémas illusoires adoptés dès l’enfance ». La lucidité cependant ne prend pas le contrôle d’une existence qu’elle jetterait, avec les déchets de la pensée, dans une tour d’ivoire de l’aigreur autarcique et de critique négative, puisque le propos pertinent affleure ici la parole et accomplit le vol libre de l’existence, via l’écriture, via l’expression de ce qui ne se résigne pas à se taire mais, persiste, résiste, et signe. L’authenticité des propos de Dechaux a l’envergure sincère d’un vécu pris aux tripes de l’expérience accordée aux désirs, à une plénitude jaillissante du pessimisme même, où jouer (revêtir un personnage) et jouir exaltent un présent fait de chaque instant, éternel. Frédéric Dechaux se rit de nos destins, comme le Destin se rirait de lui-même.
Et le lecteur rit avec lui, de lui-même : de son ego, de sa propre fatuité, de ses faiblesses ; il rit de lui-même, de nous-mêmes, de son personnage et des baudruches qu’il agite dans sa vie sociale, par la grâce d’une altérité sensiblement réveillée via cette écriture.
Les Réflexions Buissonnières de Frédéric Dechaux sont écrites sous le signe de la lumière – celle de la dégustation de l’instant, dans une clarté lucide de l’esprit auquel l’obscur fait un contrepoids constructif, chez une singularité authentique préservée de la norme : anonyme.
« Chaque plongée dans la clarté de l’instant vous illumine l’esprit avec plus de force que tout autre drogue ».
Cet aphorisme qui ouvre cet opus en annonce la sagesse, à laquelle son auteur nous élève à son insu, dans la spiritualité vivante de ces instants qui inscrivent l’éphémère de notre quotidien dans l’éternité d’un parcours chaotique en perpétuelle résonance. Parcours d’une vie, éclairé par le partage, l’altérité.
« Échappent seuls au néant les propos qui ont trouvé leur chemin vers l’altérité ».
« Vers » l’altérité – ainsi notre condition humaine, nos existences, ne s’accomplissent-elles que dans le cheminement édifiant et constant en marche / en route vers « l’acceptation et l’affirmation de soi », que ce soit par « intégration dans un groupe d’appartenance » ou, cas plus exceptionnel, par force de singularité.
Ces Réflexions Buissonnières de Frédéric Dechaux, publiées au premier trimestre de 2017 aux éditions Unicité, déroulent un message positif, même si « la spiritualité n’aura finalement pas tenu ses promesses, de toute évidence. Il est cependant avéré qu’elle se sera lancée dans l’exploration des mystères éternels. Grâce à cet élan, on gardera longtemps la possibilité de s’ouvrir à l’inconnaissable ».
Sa finalité est à la hauteur d’une philosophie de la vie, plus sereine, plus réconfortante, sans rien perdre de la réalité consciente des illusions qui nous bernent et nous bercent :
« Partager une vision, une vision simple et limpide – et qui éveillerait les êtres pensants à l’absolu ».
Traversé de simples vérités « authentiques » (« On vous étourdit de règles, d’habitudes, de convenances, mais ce à quoi vous continuez à rêver c’est de relations sincères »).
Ces Réflexions Buissonnières, constituées de trois parties, énoncent dans la marge et par la concision efficace des aphorismes ce noyau de lumière scintillant au cœur de notre Vacuité, en nous invitant à « lâcher prise », autrement dit à « s’ouvrir à la Vacuité, selon l’approche véhiculée par le Zen plutôt que par le Nihilisme ».
Épargné par un optimisme utopique qui nous rejetterait dans la nostalgie ou l’illusion (« Je me refuse à rêver d’un monde meilleur, je me refuse à regretter les Paradis perdus »), cet opus RÉSISTE à la morosité ambiante en nous donnant la force d’« accept(er) enfin de devenir accompli ! ». À ce propos – et à-propos –, des aphorismes claquent tels des étendards battant pavillon de non-complaisance, ainsi « L’espoir apporte un meilleur réconfort que la lucidité, mais la lucidité rend plus résistant ».
Ou encore : « Le pessimisme tient de la jouissance chez les visionnaires clairvoyants ».
Pari gagné – Défi relevé et remporté, à l’aune d’une sagesse qui nous fait du bien.
« La sensation qui peut chasser la morosité avec le plus d’efficacité, cela reste le bonheur de laisser revivre en nous les personnes qui nous auront offert un instant leur présence radieuse et dont nous n’entendrons plus jamais parler »…
Murielle Compère-Demarcy
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