Recommencer ailleurs, Sophie Stern
Recommencer ailleurs, Editions Avant-Propos, Collection Matanel, 206 p. 17,95 €
Ecrivain(s): Sophie Stern
« Aliya, monter », ou « s’élever par l’esprit »… La narratrice de ce livre installée en France, retourne à son pays d’attache : Israël. Ce récit sonne à la fois comme une explication – et d’abord à soi-même – des raisons qui peuvent pousser des Juifs – en l’occurrence français – à « recommencer ailleurs ».
« Quand on change de lieu, on change de chance » (p.69), cette phrase, extraite de la Michna est peut-être le fil conducteur, le fil d’Ariane, qui guide, ou dont cherchent à retrouver l’origine, ceux qui viennent s’installer en Israël, habiter Israël…
L’Aliya, dans le cas de la narratrice, se présente à elle un peu comme un jeu de piste. Ce n’est pas la décision mûrie, ni l’arrachement brutal, ni même un concours de circonstances : elle a passé, adolescente et jeune femme, ses vacances chez sa grand-mère à Tel Aviv, et chez une de ses tantes. Elle découvre, dans les bagages de son mari quand il revient de Londres où il travaille, passer ses week-ends à Paris avec femme et plus tard enfants, des brochures sur le Neguev, et aussi qu’il apprend l’hébreu à temps perdu.
On ne sait d’ailleurs rien du départ, ni de la prise de décision. La très proche cousine de la narratrice dira seulement, quand elles se retrouveront quelques années plus tard à Paris, à l’occasion de l’enterrement d’un parente : « (…) je n’ai pas compris quand vous êtes partis… » (p.197). Là-bas, la narratrice apprend l’hébreu dans un oulpan, côtoyant des immigrants de toutes nationalités, dans cette Babel moderne qu’est Israël, et plus particulièrement, Jérusalem. Choc des cultures, choc des langues, choc aussi avec la religion, plus ou moins frontal selon le degré d’engagement de chacun : « (…) j’entendis souvent prononcer ces mots : “Maintenant il est heureux en Israël” » (p.69). Tel Aviv, Jérusalem, Haïfa : trois villes, trois lieux différents, trois lieux de différence : « (…) les gens qui ont des problèmes veulent toujours croire au miracle, c’est humain. Mais Israël ne fait pas de miracle. Réveillez-vous ! Et ne comptez pas sur cette terre pour arranger vos soucis, consoler vos peines, apaiser vos tourments. C’est elle qui a besoin de vous et pas le contraire. (…) Vous vivez un bouleversement sans la même chose, c’est indéniable. L’Aliyah, quoi qu’on en dise, est d’une grande violence. C’est un cataclysme. Vous avez perdu tous vos repères familiers, vos habitudes, votre travail, vos amis » (p.131-132).
De quoi s’agit-il ? Que nous montre-t-on ici, sans renseigner ? Moins un pays, qu’une terre habitable, une terre qui se fait si bien à celui qui y vient en séjour peut-elle être si difficile à y vivre au quotidien, au long des jours ? Terre de contrastes de langues et de coutumes, de races croisées et entrecroisées, découverte à petites touches, dont chaque région a sa lumière, et à grandes questions. Quelle quête, quelle enquête mener sur soi, pour soi ? Ainsi que le dit la narratrice : « (…) savoir le nom de quelqu’un qui n’est plus, c’est déjà quelque chose » (p.101). Ce nom qu’on vient rechercher, après oubli ou occultation, qui est donné à la mort comme le vrai, comme le sien, est-ce cela que les immigrants viennent (re)chercher, laissant parfois derrière eux des proches dans l’incompréhension ? « Au fait, tu ne m’as pas parlé de ta vie là-bas… (…) Je voulais te voir pour que tu m’expliques, mais vous êtes partis si vite. Et on n’a pas eu le temps ! Un jour, tu reviendras, n’est-ce pas ? » (p.197).
Se retrouver, mais est-on des siens plus près quand on fait retour ? C’est toute la question qui tourne, qui rôde dans ce joli live : ailleurs, mais peu n’importe pas où.
Anne Morin
- Vu : 7749