Réarmement lumière, Alexandre Desrameaux (par Murielle Compère-Demarcy)
Réarmement lumière, Alexandre Desrameaux, Ed. Des Vanneaux, Coll. L’Ombellie, mars 2018, 58 pages, 15 €
Le titre à première lecture interpelle : Réarmement lumière, mais encore ? Signalétique d’un opus poétique, le lecteur l’interprète d’emblée en son sens figuré et se souvient que le réarmement a pu historiquement désigner un mouvement de rénovation spirituelle fondée sur des valeurs pacifiques et altruistes, « réforme du monde par une réforme de la vie personnelle ». Gandhi en fut un représentant avec sa doctrine de non résistance fondée sur des moyens pacifiques. Est-ce de cela que nous parle ici le poète Alexandre Desrameaux ? Appliqué à la poésie nous devinons que le réarmement désigne ici un rechargement des batteries pour « transformer la vie » au sens rimbaldien. Du moins le supposons-nous de prime abord. L’illustration de couverture qui représente un détail d’une œuvre picturale signée du poète d’envergure Bernard Noël, confirme cette orientation par sa légende « Les soupirs de la méthode » et nous conforte dans l’idée que nous nous ouvrons là à la lecture d’un cheminement, cognitif et créatif très probablement, les deux se complétant, formant la dimension non systémique mais totalisante de notre intégration au monde ici pulvérisé pour souffler le carcan de remparts transfigurés en « fumées d’escaliers, montant Babel de chiffres et prouvant dieu malgré eux ».
De l’Alpha recrée du Poème fulgurant jaillit l’irréalisation de la page/page d’Écriture méta-cosmique où « la mort » vaut « comme un âge d’or », la volonté se mêle à la volupté pour mettre le feu et brûler nos échardes (les échardes debout que nous sommes, errants erratiques Noé en quête du vide dans la plénitude de sa substance).
Trois parties construisent ce recueil : Un serpent dans les pommes, Écrire le torrent avec un cutter, Réarmement lumière – nous continuons d’être interpellés, cette fois par l’intitulé des parties. Le premier titre nous rappelle le texte fondateur de l’Ancien Testament dans la Genèse3, le second par son expression/expressivité nous projette dans la veine contemporaine, le troisième est celui qui donne son titre au livre entier ce qui augure de son importance en tant qu’épilogue.
Quel est ce « serpent sali tombé dans les pommes » qui ouvre par son sifflement le champ de combat (du Vivre) où s’actionnera le fameux Réarmement lumière ? Le jeu de mots mêlant culture religieuse et expression populaire du langage imagé, nous introduit dans la double dimension du Langage, à la fois littérale et figurée. La dimension poétique en constituerait-elle la troisième ? Ici via le rythme du Chaos toc (titre du premier texte), insolite topos où le néant né en « flux et reflux de rien » tourne, des poussières de fin d’étoiles « à moi », « dans un feu d’idées » déhanchées comme le tour et la forme des jets de bribes pulvérisées qui traversent/transpercent les trous noirs de la page, après avoir « refermé le livre du “grand incendie” ».
En même temps nous n’oublions pas que la pomme représente le fruit défendu, le serpent, l’animal du péché originel ; l’idée du paradis perdu est donc postulée à l’entrée de ce premier texte, comme l’idée de la chute (de l’Homme) supposée. Qu’en est-il au juste ?
L’aspect cosmique et religieux d’une Création s’active dès la première phrase, régissant le décor d’un Fiat lux revisité pulvérisant dans la détente d’un fusil, entre des chiens de constellations de garde, toutes les « formes ri(ant) sur des luges de sang », « la beauté à vue d’œil », les grandes orgues visionnaires agies sous le courant ensorcelant de la vie accouchée, de la vie qui – horreur & extase – se reproduit, procréée, « par tremblements vertueux d’extase, avec vue sur la sage nudité (elle aussi) ensorcelante du généreux verbe pan ».
« Mes nerfs, ma vie, mon cercueil ont lâché.
C’est le ciel qui sauve les meubles »
Un panthéisme païen court, névralgique, dans la sève dévorée par les loupes et les trous noirs. La configuration du monde exécuté par le Réarmement lumière pince, gratte, écorche des cordes, insolite, dans le grand miracle musical d’un « délyre » cacophonique de « chaos toc »où « dieu » est un – sans être l’Un, l’Entité unique – ses yeux et ses oreilles arrachés par l’« oursin de feu » emblématique de « la fin des étoiles ». Le langage pour transcrire l’étrange réalité de cet autreunivers perturbe nos repères, circonscrit de nouveaux contours, explose les lignes en pleins dé-li-és : délités : désintégrés jusqu’à l’os, l’atome, astre dérouté bolide vers « l’être ayant,au fond de la gorge noire, le néant rouge en cacahuète »
« La fin des étoiles est oursin de feu arrachant à dieu les oreilles
et les yeux. Le verbe – l’être : se haïssent, se souillent. La
division est divisée. Le tonnerre n’a pas tranché. Le trou
noir des […] Alice est sourd, et sonné. Jets ! Jets ! Tu sais, j’ai
planché. J’ai écrit le chaos, machette d’eau à la main, ève eue :
l’éternité, et changé – sang fois – de couche existentielle, puis
tout relâché »
Les phonèmes déroulent la partition articulée musicale du monde où les consonnes semblent s’agencer pour dis-sonner avec les trouées d’air parfois d’« aération gravissime », élancées par les voyelles :
« la vie est violence qui tremble et coule rose au
robinet du vide : papillon sans limite, traversant les pires saisons »
Autre réalité virtuelle ? Plutôt une réalité autre analogue au Pays des merveilles d’une Alice du 21ème siècle projetée dans la « Danse »polyphonique, dissonante, polychrome, cacophonique, multi-percussionniste érotique où ça hurle de violence, de prières, entre les bouts décousus de la poésie rapiécée/réappropriée – « Brûleries de prières » !– pour que le Jouïr révèle l’Être, « la jouissance comme substance et forme première de connaissance ».
Les mots se répercutent lancés par une fronde poétique qui touche sa cible tout en l’intégrant dans son corps de projectile : âme cosmique et corps-esprit se rejoignent dans le vide noir galactique où les poussières d’étoile « réarment la lumière » en l’attirant et s’aspirant, pour redémarrer un univers troublé compulsif en son « chaos » (Chaos toc), à l’« aération gravissime », éjecté « de violente n’essence » jusqu’à la catapulte des « liens entre toutes choses » qui les effacent afin qu’il pleuve « une race de rêve, d’anguilles diluées à mort, et de pensées noyées ou pas, toutes nourries par dieu ? – vertiges d’idées, d’abeilles… Pointillés du soleil (…) ».
L’univers se consomme hydre érotico en clepto-guerre dans les jours et la nuit où la sève des meurtrières coule de son liquide amniotique-apocalyptique. Réarmement lumière amorce une bombe lancée sur l’accélération hors-temps du vertige tombé sur des vestiges après le déluge. « Vertige antédiluvien » du Verbe et de l’être : bombe originelle fendant l’arbre-du-Langage en pulvérisant l’écorce, pour mordre à l’essentiel astronomique atomique invisible de la Vie ; pour tirer son « visage perpétuel » à refaire, en faisant la peau au « bleu de toute raison ». Fomentant même dans l’œuf de l’orage des vœux insensés de procréation – rêve réalisé par anticipation – dans l’idée d’exécuter sur le terrain miné du vécu explosif/implosif (« vitesse et poids des atmosphères cumulées » pressées sur le cœur), de commettre en Alexandre (Alexandre Desrameaux, l’auteur-poète de cette bombe poétique), comme en nous, « la terrible percée » dont nous ne sortirons pas indemnes.
La Poésie peut recoudre à vif les bords ardents d’un monde éruptif, dans un dérèglement des sens ardent, absolu, se brûlant dans l’incendie des paupières, dans la houle de nos oreilles, reprisant du néant sur nos coutures, le jour la nuit le rouge en complices fléaux de brûlures ravivées sur nos plaies. La poésie, visionnaire, peut procéder au – oh ! – Réarmement lumière.
Murielle Compère-Demarcy
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