« Quatre filles et un Violoncelle », par Marie du Crest
La pièce de Michel Bellier, Les filles aux mains jaunes, a été créée en 2014 au théâtre Le Sémaphore à Port de Bouc et reprise ensuite tant en France qu’à l’étranger, dans une mise en scène de Joêlle Cattino. Le théâtre Joliette-Minoterie, scène conventionnée, à Marseille, la propose les 23, 24, 25 et 26 mars à nouveau.
Il est posé sur le sol, ce drôle d’instrument qui ne tient debout que sur sa pointe, que si l’on décide de le faire jouer, assis sur une chaise et installé entre ses jambes comme une amante installée sur les genoux d’un amoureux. Tout est obscur autour de lui ; des lampes industrielles suspendues dans les cintres rappellent sans doute que le théâtre est ce moment suspendu entre le noir et la lumière, et le retour au noir. Le violoncelle, en quelque sorte, dit que Les filles aux mains jaunes ne sont plus seulement le texte de Michel Bellier mais une représentation, une mise en scène matérielle, affaire d’objets et d’accessoires choisis, du son et de la lumière, des corps et des voix. Il n’y avait pas de musique entre les pages de la pièce écrite. Le Violoncelle est là, du début du spectacle, étrange et unique présence masculine puisque c’est Jean-Philippe Feiss qui tient l’archet, fait des pizzicati, le transforme en percussion.
Le violoncelle n’est pas installé sur un des côtés du plateau, ni au centre du dispositif, plutôt en diagonale, légèrement côté cour. Il est le premier à parler avant l’entrée dans la demi-obscurité des quatre filles : Louise, Coquelicot la jeune révoltée, la vieille Jeanne à la voix forte, la blonde Rose prête à éclore, et Julie qui ne sait toujours pas lire. Elles portent de longs manteaux gris qu’elles enlèveront pour être en tenue de travail : manière de salopettes, foulards-bonnets sur le crâne et chaussures plates, comme si en entrant à l’arsenal elles devenaient à la fois des prisonnières en uniforme et qu’elles perdaient toute féminité, leurs cheveux cachés sous la pièce de tissu.
Elles se parlent entre elles par deux, trois ou quatre, ou elles s’adressent aux spectateurs, en leur racontant ce qu’il advient aux personnages. Et parfois le violoncelle les accompagne, qui lui aussi s’entretient avec elles, épouse même la folie mécanique des gestes du travail industriel qu’elles doivent accomplir, selon un rythme de plus en plus rapide. Louise, toujours un peu à l’écart tandis que ses trois sœurs de misère, silencieuses, baissent la tête jusqu’à la fin de la guerre en novembre 18, jusqu’à la fin de la vie de celle que la poussière jaune du T.N.T. a tuée sournoisement. Debout, alignées devant sa tombe invisible que seules les répliques font exister, ses trois compagnes ouvrières lui rendent hommage.
Le plateau nu est l’atelier du dur labeur qu’un rideau à la couleur changeante, quelquefois ombré, ferme comme un écran au monde extérieur, lointain, presque invisible. La promenade libératrice du dimanche ne sera d’ailleurs pas donnée à voir mais simplement entendue par deux fois : chants d’oiseaux, voix joyeuses des quatre comédiennes enregistrées.
La mise en scène épurée, allusive paradoxalement, donne forme et vie au texte historique, politique de l’auteur. Et la partition du violoncelle redit cette épure et abstraction dramatique, évitant tout naturalisme réducteur. L’instrument grave si proche de la voix humaine semble comme une métaphore poétique du destin de ces quatre femmes.
Le spectacle ensuite ira en Avignon, cet été, au théâtre Girasole.
Marie Du Crest
On peut se reporter à ma chronique sur le texte de Michel Bellier (édité chez Lansman,) du 13 janvier 2016
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