Quand Shakespeare se fâche, par Mélanie Talcott
« Il existe aujourd’hui quelques hommes remplis de sagesse, d’une science unique, doués de grandes vertus et de grands pouvoirs. Leur vie et leurs mœurs sont intègres, leur prudence sans défaut. Par leur âge et leur force ils seraient à même de rendre de grands services dans les conseils pour la chose publique ; mais les gens de cour les méprisent, parce qu’ils sont trop différents d’eux, qui n’ont pour sagesse que l’intrigue et la malice, et dont tous les desseins procèdent de l’astuce, de la ruse qui est toute leur science, comme la perfidie leur prudence, et la superstition leur religion » (Henry Corneille Agrippa de Nettesheim, De occulta philosohia).
Ai-je rêvé ? Sur la table, deux verres et une pipe d’écume jaunie gravée de deux initiales W.S. Je me rappelle avoir eu un vertige et senti une présence, avant qu’une main ne se pose sur mon épaule. Une voix grave et moqueuse.
« Alors, ma fille… Je suis venu parce que je vous sens inquiète ».
L’homme parlait un anglais qui n’a rien de commun avec celui en usage aujourd’hui et pourtant je le comprenais parfaitement. Mais ce qui me surprit le plus, ce ne fut pas l’individu de belle prestance, un front large et dégarni, les cheveux ondulés et mi-longs, les traits bien marqués mais un peu lourds, l’âge sans doute, mais que personne autour de moi dans ce café ne s’étonne de ses vêtements, collerette empesée et inclinée, pourpoint rembourré, hauts de chausse, chaussures à très longs bouts carrées.
« Je me présente, William Shakespeare ».
– Je…
– Écoutez Mélanie, l’éternité nous rend omniscient et peu importe qui l’on fut de son vivant. Tandis que sur terre règne trop fréquemment hélas l’horizontalité, nous y bénéficions d’une vision verticale, ce qui nous permet de nous élever dans l’espace et le temps. Je sais donc qui vous êtes. Je vous rassure, vous êtes la seule à pouvoir me voir. Vous vous proposez d’écrire un article sur moi ! Un grain de sable comparé à l’avalanche de commémorations qui m’attendent, puisque l’on s’apprête un peu partout à fêter le 400ème anniversaire de ma mort.
– Exact, bien que, cher Monsieur, cette célébration de la mort ne cesse de me surprendre, comme si celle-ci marquait de sa fatalité inéluctable la naissance de toutes celles et ceux que nous glorifions ! lui répondis-je, amusée d’avoir mon sujet à portée de voix. Une précision cependant : outre toutes les festivités programmées dans le monde, 140 pays vont virtuellement participer à cet hommage. Et le 23 avril, jour où vous l’avez quitté, est d’ores et déjà annoncé comme le Shakespeare Day Live. J’espère que vous en êtes fier.
– Aucune importance. « Les hommes sont ce qu’est l’instant ». Je ne me réjouis nullement de toutes ces solennités. Dieu m’est témoin, avec mes compagnons là-haut, que vous m’avez bien cocufié ! Parler de moi est une tâche des plus ardues. Tout et même trop a déjà été dit à mon propos. J’en ai honte pour vos penseurs. Que n’ai-je point été ? On me décortique, on me dissèque, on m’autopsie. J’ai été ainsi un héros romantique, un nihiliste, un agent de propagande au service des rois et princes d’Angleterre, un hétérosexuel tendance gay, un alcoolique, un fumeur de joint, un sniffeur de cocaïne, un existentialiste, un misanthrope, un usurier, un dément, un anxieux pathologique, un antisémite (1), un puritain, un agitateur public, un rosicrucien, un franc-maçon, un juif, un arabe, un allemand, entre autres nationalités, un mystique, un initié et même une femme, enfin bref comme l’écrivit Tolstoï, non seulement je ne fus pas « un grand écrivain, mais une imposture, une vilenie ! » (1). Impossible qu’un seul individu puisse produire une œuvre si prolifique et complexe ! Soupçon que l’on n’a jamais appliqué, par exemple, à Léonard de Vinci (2) ou à Avicenne (3).
– Vous caricaturez, dis-je tout en prenant conscience que la télévision, un écran plat XXL qui habillait un mur entier dans le bar, diffusait en boucle des combats de boxe.
– Non. Vous avez fait de moi une icône stérilisée. J’étais comme vous une personne normale avec une vie ordinaire. Du vent dans les voiles certes et qui m’a fait prendre la plume. Mais quoi ! J’étais doué pour cela comme d’autres le sont pour la boulange, la charpente ou même le crime. C’était mon gagne-pain et mon plaisir. Si j’étais né dans votre siècle, j’aurais sans doute été aussi un théâtreux. Avec la même passion, la même hargne, le même génie. Que voulez-vous, ma fille, on ne se refait pas ! J’avais des illusions à revendre, j’y croyais. Cet acné juvénile m’a labouré l’âme jusqu’à mon dernier souffle, à un point tel que certains de vos contemporains voient dans mon ultime pièce, La Tempête, la synthèse de mon œuvre et mon testament spirituel. Et les voilà qui se torturent les neurones pour y trouver une signification posthume et bien évidemment, cultuelle. Sans faiblir, j’ai remis sans cesse le travail à l’ouvrage. Mais si vous voulez mon avis, je me suis planté sur toute la ligne. Par votre faute.
– Pourquoi dites-vous par notre faute ? Vos pièces continuent à être jouées partout et on vous admire. On vous qualifie même de génie de tous les temps.
– De la récupération, vous dis-je. « Je tiens ce monde pour ce qu’il est : un théâtre où chacun doit jouer son rôle ». Shakespeare n’est plus qu’une marque, un produit, un alibi de civilisation avec lequel l’empire britannique a exporté son hégémonie boulimique. Putain de négociants ! J’ai beaucoup écrit, inclus des textes qui se sont perdus corps et mots. Parfois on se mettait à plusieurs sur l’ouvrage comme le font les scénaristes hollywoodiens sans que cela ne vous interpelle outre mesure. Mais là, pas de droits d’auteur, pas de copyright ! Du bon vin, des idées, des amis et parfois, la jalousie. Quelquefois, des années passaient avant que l’on se décide à monter cette pièce écrite à plusieurs mains. Simplement on l’oubliait. Je disposais d’un bon réseau et d’un solide carnet d’adresses. J’avais des protecteurs, la reine Elizabeth, un peu déjantée et trop fan d’astrologie à mon goût, mais une bonne copine qui se dépatouillait comme elle le pouvait de toutes les pressions que les autres royaumes lui mettaient, sans compter que beaucoup lui auraient aussi bien mis la main aux fesses à la reine Vierge. Pas pour son physique assez austère, mais pour étendre leur territoire. Une alliance diplomatique. Un peu comme avec votre Merkel. Femme intelligente et très cultivée, parlant couramment plusieurs langues dont le latin et le grec, elle fut un monarque hors pair, bien au-dessus de la mêlée de tous ces petits roitelets dévorés d’ambition, même si son ambigüité ne fut pas toujours bonne conseillère. Elle aussi céda aux impératifs de la guerre. Mais désireuse de fermer le clapet aux aristocrates et à la vieille noblesse conservatrice, normal après tout ce qu’ils lui avaient fait subir, et de minorer les privilèges entre la bourgeoisie et le peuple, elle favorisa tous ceux qui s’y employaient. A la fin de son règne, l’analphabétisme avait quasi disparu et la langue anglaise était chantée à la messe et déclamée au théâtre. Les théâtreux cessèrent d’être des saltimbanques en bute aux ratonnades des puritains, vivant constamment sous la menace de la prison ou d’une brûlure infâme à l’oreille. Construits en dehors de la ville, les théâtres devinrent fixes. Les compagnies furent placées sous le patronage d’un noble et de deux notables et nous pûmes enfin gagner correctement notre soupe. Il faut dire que le théâtre n’était pas le temple qu’il est devenu où le moindre bruit est vilipendé. C’était le terrain de foot de l’époque. Je fus le Maradona de mon théâtre, Le Globe, un parmi d’autres. Sa vie était intimement liée à celle de la rue. Il était courant que leurs propriétaires fussent aussi ceux des bordels voisins, sans oublier les nombreux commerces qui le jouxtaient. Commentaires, cris, huées, invectives, rires, sexe, rixes et querelles, on jouait autant sur la scène qu’à côté ! L’édifice de forme circulaire et en bois était à ciel ouvert, entouré de galeries sur deux ou trois étages où se pressait le public avec un espace réservé aux musiciens. La scène se situait au milieu, flanquée d’une arrière-scène où se jouaient les scènes d’amour ou bien les agonies et d’un balcon pour les sérénades. Croyez-moi, cela ressemblait à une arène, au propre comme au figuré.
– Difficile d’y être écouté !
– Oui et non. Certes, les gens mangeaient, buvaient et se déplaçaient. D’ailleurs à ce propos, je boirais bien un verre du meilleur vin de cet estaminet. Si ma reine était friande de sherry, je lui préfère ce breuvage, car « il possède une double vertu. Il vous monte au cerveau, vous fait l’entendement fugace, vif et inventif ».
Je commandais deux verres de Sancerre au garçon qui chercha des yeux à qui était destiné le second. « Merci, dit Shakespeare en faisant la moue. Mais je doute fort que ce vin transparent possède la seconde vertu, « celle de vous réchauffer le sang et de me procurer de la vaillance », bien qu’à y tremper les lèvres… »
Il fit claquer sa langue avec gourmandise, se rejeta en arrière, bourra sa pipe et reprit :
– Au théâtre, toutes les couches sociales se côtoyaient. Bien sûr, on y venait pour se distraire, mais aussi pour écouter les news. C’était la presse de l’époque, un outil et un moyen de propagande politique. Et comme dans la presse telle que vous la connaissez, il y avait de tout, du Figaro au Monde Diplomatique en passant par Nous Deux et l’Equipe. L’actualité n’était jamais très joyeuse. Pensez donc : de 1492 à 1648, on a traversé pas mal de guerres intérieures comme extérieures. La majorité d’entre elles furent de religion et velléités de tyrans. Cela a toujours été le bruit de fond du monde, hier comme aujourd’hui. La peur, les coups tordus, le sang, toujours le sang, sauf pour ceux qui tirent les ficelles en coulisse. C’est en partie la trame de mes drames historiques. Mais que diable, on avait de la verve et de la rogne ! On fut de sacrés journalistes d’investigation dénonçant la corruption, les violences, les orgies, les assassinats et les mensonges d’État. Aujourd’hui, vos journaleux ne sont plus que des apparatchiks opportunistes. Après la disparition de la reine, son successeur, le roi Jacques Ier devint à son tour mon protecteur. Lui, ce qui le faisait bander, c’était les garçons, la chasse et le satanisme. Très dispendieux avec l’argent du royaume, il arrosa de ses largesses ses courtisans et monnaya son bon plaisir dont je fus l’un des pourvoyeurs. Macbeth fut écrit à son intention. Des mécènes m’ont également soutenu, le comte de Southampton (4) avec qui l’on m’a prêté une liaison, ou Lord Chamberlain. J’ai eu ainsi accès aux manuscrits des bibliothèques privées, la chose imprimée étant encore à ses balbutiements, ce qui m’a permis également de soigner mon ignorance.
– Plutôt cool, non ?
– Façon de voir ! Durant un espace temps relativement court – celui de ma propre vie, une petite cinquantaine – et très réduit géographiquement – entre Londres et ma ville natale où dans un accès d’intériorité ayant dit tout ce que j’avais à dire, je suis retourné pour mourir – tel un fou du roi, j’ai fréquenté des princes et des gueux, des philosophes, des historiens, des écrivains, des artistes et des savants dont Francis Bacon (5). Selon les élucubrations inefficaces de certains de vos historiens et bien que sa vision de la vie et la mienne furent diamétralement opposées, je lui aurai servi de prête-nom. J’étais reçu partout, histoire de faire monter l’audience, un peu comme vous le faites avec Michel Onfray ou Fabrice Lucchini. Pensez donc ! Shakespeare la star du XVIe siècle, l’empêcheur de tourner en rond, le casseur de mystifications. Tout le monde trouvait ça fun, à condition que cela ne le concerne pas de trop près. J’avais de belles amitiés, Christopher Marlowe (6). Il était fils de cordonnier, j’étais fils de gantier, on était fait pour s’entendre. Lui aussi devint un théâtreux. L’un de ses personnages dans le Juif de Malte m’a inspiré celui de Iago dans Othello. J’avais également mes détracteurs et mes ennemis comme Ben Jonson (7), mon concurrent, qui se commettait en comédies caricaturales, ou encore Robert Greene (8), un autre dramaturge aveuglé par sa jalousie. J’ai croisé des gens de l’ombre, des personnes qui savaient, d’autres qui croyaient savoir et se disaient initiées, d’autres enfin qui ne savaient rien du tout mais qui trempaient partout. Et finalement, je suis mort. Et une fois mort, on m’a oublié pendant plus d’un siècle et demi. Je suis mort le même jour que Cervantès et comme lui, j’ai légué mon lit à ma femme. C’est devenu un sujet mystique. Avec Miguel, on en rigole encore. « Le Temps ressemble à un hôte du grand monde, qui serre froidement la main à l’ami qui s’en va et qui, les bras étendus, embrasse le nouveau venu ».
– N’empêche que tout le monde connaît plus ou moins vos œuvres, Macbeth, Hamlet, Roméo et Juliette, Le Roi Lear, Othello, Richard III pour les plus représentées.
– Ah oui, Mélanie, des tonnes de livres ont été écrits à mon sujet, j’ai été traduit plus de quatre mille fois, et tout cela pourquoi ? Pour rien, absolument rien. Laissez-moi rire ! On m’admire ! Mais qu’admire-t-on en moi ? Surtout ce que l’on ne sait pas ! Conjectures et conjonctures. Mais tout ce que j’ai écrit, demeure lettre morte. Qu’y a-t-il dans un nom ? « Ce que nous appelons rose par n’importe quel autre nom sentirait aussi bon ».
– Mais…
– Taisez-vous ! On me joue, mais se trouve-t-il sur l’immense scène terrestre de ce siècle désaxé un seul spectateur qui ensuite met en pratique ce que j’ai essayé de transmettre dans mes pièces ? De quoi parlent-elles toutes, l’une après l’autre, l’une dans l’autre, qu’elles soient comédie, tragédie ou drame historique contenant chacune d’elles tous les genres ? De quoi parlent-elles, je vous le demande ? Allez, jetez-vous à l’eau. Prouvez-moi que ma colère est pure vanité.
– De l’humanité. N’est-ce point là le sujet de vos pièces ? De la grandeur et de la misère de l’homme, de son héroïsme et de sa lâcheté, de son besoin de sortir du lot, même dans l’abject, de sa nécessité de se sentir exister, de ses sentiments contradictoires qui le mènent au pire comme au meilleur, de ses asservissements consentants ou consentis qu’ils soient intimes ou collectifs, de ses vanités et de sa sottise, voire de sa cruauté. La liste est aussi longue que la complexité de l’humain. C’est pour cette raison que l’on dit que vous véhiculez une universalité qui fait mouche dans le cœur et l’esprit des êtres humains, siècle après siècle.
– C’est tout ? Juste une liste ? Ah je reconnais bien là cette paresse du peuple. Un rien la contente. Je fais mouche ? On essaie de l’éduquer, et quand je dis on c’est parce que je ne suis pas le seul à m’y être cassé les dents. Ils furent légion avant et après moi. Et croyez-moi, s’ils se raréfient en bas, je veux dire sur terre, en haut, c’est la cohue. Platon, Marc-Aurèle, Thomas More, Érasme, Rabelais, Lao Tseu, La Boétie, Montaigne, Léonard de Vinci, Galilée, Babeuf, Victor Hugo, Camus, Albert Schweitzer ou Théodore Monod. Tous des humanistes.
– Vous exagérez un peu…
– Un peu ? Rappelez-vous gente dame : « Si faire était aussi aisé que savoir ce qu’il est bon de faire, les chapelles seraient des églises, et les chaumières des pauvres gens des palais de princes ». Et que vois-je ? Vous vivez toujours dans les mêmes taudis mentaux que vos ancêtres. Vous subissez toujours autant que vous vous soumettez. Y a-t-il quelque différence entre l’ambition assassine de nos rois et reines et celle de vos politiques, dociles comme des porcs allant à l’abattoir sous le joug de vos multinationales et de vos institutions internationales ? Les décors ont changé, mais sûrement pas les références ! Toujours la même équation entre ceux qui baisent, une minorité de puissants et ceux qui sont baisés, une majorité de moutons. Croyez-moi, je connais bien cette matière humaine. Elle est la chair de mon œuvre. Elle fut sous mes yeux et à portée d’oreille, de la table des grands de ce monde aux bouges des rues londoniennes. Une humanité à la fois merveilleuse et à gerber. Je l’affirme ! J’ai fait de la psychanalyse bien avant votre Freud ! De son observation sans fards et impartiale, j’en ai déduit des archétypes, et donc campé mes personnages, aussi immuables que l’est la physiologie humaine. Manger, dormir, évacuer et se reproduire est ce qui la caractérise depuis l’aube de l’humanité. Nul n’y échappe, aussi divin, éminent ou anonyme soit-il, et ce dans tous les règnes du vivant. L’Homme naît et meurt. De même, à un niveau moins trivial, il aime, haït, souffre, trahit ou est trahi, tue ou est tué, il est rongé par le doute ou la mélancolie, soufflé par le bonheur, toujours fugace, ou terrassé par le malheur qu’il excelle à provoquer.
– Nous voilà réduits à peu de choses ! D’ailleurs vous le faites dire à Antoine dans votre Jules César : « le mal que fait un homme vit après lui ; souvent ses bonnes actions vont dans la terre avec ses os ».
– Ah oui ! On dit qu’elle a été montée pour l’ouverture du Globe. Je ne me rappelle plus. Mais poursuivons… Certes me rétorquerez-vous, les gens ne sont pas responsables de leurs malheurs. D’une certaine manière, vous avez raison. Ce ne sont pas eux qui les décident, sinon les politiques, les banquiers et les grands marchands. Ceux-là dorment dans de la soie tandis que vous, vous vous grattez, ça vous irrite. Je suis effaré de ce que je vois. Et tous mes amis de là-haut également. Les bras nous en tombent. Tout ce que l’on a dit et fait, n’a servi strictement à rien. Les mêmes souffrances à l’âme, les mêmes douleurs au corps, la même panade. Rien n’a changé, ni les acteurs, ni les spectateurs ni les coulisses ni le foutre ni l’argent. Juste les moyens, encore que… Savez-vous que Venise, représentée à la Cour d’Angleterre par Francis Bacon, a bâti sa puissance financière au Moyen-âge, en prêtant de l’argent aux Rois d’Europe afin qu’ils se tuent entre eux ou partent en Croisade. Des millions de morts et à la clef, d’énormes bénéfices. La spéculation de la mort. Le butin permettait de rembourser les banquiers. Une guerre en appelant une autre, les rois de plus en plus fauchés n’eurent d’autre solution que d’escompter les pillages pour éponger leurs dettes. En passant, cela ne vous rappelle pas les pratiques de vos grands groupes financiers actuels et du FMI ? Enfin bref, arriva ce qui devait arriver. Les royaumes en conflit furent en cessation de paiement. Ce fut une de nos premières bulles financières. Le krach, la crise mondialisée. L’Europe fut ruinée. L’agriculture mise en friche. Exodes, famines, rapines, banditisme et bien sûr, multiplication des épidémies. Aujourd’hui, vous avez la Syrie, et en général le Proche et Moyen Orient où vos gouvernements remettent le même désastre à l’ouvrage, des guerres à distance pour servir les intérêts de leurs pays avec le slogan ordurier « zéro mort civile ». Mes rois n’avaient à la bouche que les mots honneur, droit et fidélité. Les vôtres se réclament des valeurs républicaines. Mais le résultat est le même. Ils se vendent mutuellement des armes, redessinent les frontières, coupent et découpent au nom de l’ingérence humanitaire à laquelle se mêle maintenant celle de Dieu. Mais las ! C’est de leurs mensonges que naissent les guerres. A mon époque, on n’était pas aussi bien informés que vous. Votre complicité est d’autant plus ahurissante. Vous savez et vous ne faites rien. Survoler Auschwitz avec un drone, multiplier les commémorations, vous battre la coulpe, à quoi cela vous sert-il ? A l’inverse, ne vous y trompez point, la passivité a également de lourdes conséquences. Prenez le roi Henry VI (9). De prime abord, il est plutôt sympathique. Mais on comprend très vite qu’au fond, il ne veut s’impliquer en rien. Ça l’ennuie autant que cela lui fiche la trouille. Il regarde et laisse faire, sans vouloir affronter le fait que son laxisme a un prix dont il sera le dernier, bien évidemment, à en payer physiquement et matériellement les contrecoups. Cela doit vous évoquer quelques personnages publics familiers, non, dans votre société d’irresponsables où personne n’est coupable de rien ? Dès que l’on parle d’Histoire, on cesse de parler de vérité. Le mot vérité devient insultant. Parce que l’Histoire c’est le plus fort qui l’écrit. Celui qui a perdu n’en a pas le même son de cloche.
Une jeune fille, les yeux rivés sur son Smartphone comme un appendice de ses doigts qui pianotaient avec une virtuosité époustouflante sur le clavier, la bouche bâillonnée par un bubble-gum rose qu’elle faisait éclater d’un coup de langue avant de la gonfler à nouveau, s’approcha de la chaise où était assis Shakespeare. Elle tenta de s’en saisir, s’énerva et finalement, fila un coup de pied rageur dans le tibia du vieil homme.
– « Les jeunes s’élèvent quand les vieux tombent » dit-il en riant aux éclats. Voyez la circonstance ! Toutes les misères, Mélanie, car au fond c’est bien de cela dont je parle dans mes pièces, sont malheureusement reproductibles. Elles ont la même saveur mais n’ont pas la même peau. Une misère londonienne de mon temps, où les rats étaient nos hôtes, la faim notre invitée et la peste notre destin, est la même que celle à Haïti en ce moment. « Si les empires, les grades, les places ne s’obtenaient pas par la corruption, si les honneurs purs n’étaient achetés qu’au prix du mérite, que de gens qui sont nus seraient couverts, que de gens qui commandent seraient commandés ». A mon grand désespoir, rien, je vous le répète, n’a changé.
– Je vous sens amer.
– Désillusionné est plus exact. Comprenez-moi. Nous étions plusieurs à nous efforcer à faire entrer la vie au théâtre, à l’inverse de vos théâtreux référentiels qui eux l’ont fait sortir de la vie pour en faire un divertissement. La cerise sur un mauvais gâteau, en plus avec des règles étouffantes. Unité de temps, d’action et de lieu. Exige-t-on d’une pensée qu’elle danse le menuet ? La vie n’est pas linéaire, mon théâtre non plus, les époques se télescopent, il n’y a pas de chronologie, ni de genres, ni de catégories définies. Remarque, cela vous occupe. Combien sont-ils à soulever mes virgules pour découvrir de quand elles datent. Pendant ce temps-là, on zappe l’important. Ce qu’il faudrait faire pour changer la dynamique de l’Histoire qu’il revient à chacun d’écrire et non de subir. Je croyais sincèrement, comme beaucoup d’autres humanistes, qu’il suffisait d’éduquer les gens, leur révéler les manipulations dont ils sont l’objet, d’éveiller leur capacité de jugement, leur entendement, leur conscience politique plutôt que de les gaver d’informations invérifiables, afin qu’ils deviennent par eux-mêmes l’outil de leur changement et participent ainsi au bien-être commun. Suggérer plutôt que d’imposer. Influencer à distance plutôt que d’affirmer. Un appel à leur bon sens. Apprendre à apprendre. Voilà pourquoi dans toutes mes pièces, il y a toujours un épisode grotesque qui dénature la figure du héros ou une contradiction aberrante entre ses paroles et ses actes, qui la rend complètement caduque. On était les punks de notre époque, des insoumis. Détruire les bases conservatrices d’une société pourrie qui défend au taquet ses acquis et privilèges. Remettre tout à plat, s’inventer de nouveaux horizons et un nouveau langage. C’était notre job puisque l’on en avait le talent et les moyens financiers. On était tous embarqués dans la même ONG qui transportait par théâtres entiers de l’Entendement comme aliment de première nécessité. On voulait changer l’Homme. Nous avons fabriqué à notre insu de la désillusion. Quand le cœur dit je t’aime, l’intelligence fermente et cet élan devient vite autre chose. Une impuissance contrôlée. Je me suis trompé. On s’est tous trompés. Votre Molière avait bien raison de se montrer pessimiste sur la capacité de l’Homme à devenir meilleur. J’en suis venu à penser au terme de ma vie, qu’il était viscéralement mauvais. En plus, il aime ça. C’est même là où il se montre le plus créatif ! L’humanité n’est pas éducable, pas plus que l’Homme n’est évolutif. A croire qu’il est limité par sa seule physiologie, ma fille. Ce que j’ai voulu transmettre et dont vous applaudissez l’universalité, s’est mué en esthétique et en marketing. Il n’y a aucune mise en pratique, aucun passage à l’acte et une pensée sans action est une pensée inutile. Vous m’admirez comme vous admirez la Joconde ou Mickey Mouse.
– A vous écouter, on n’a plus qu’à se flinguer à défaut de se tirer des balles dans le pied !
– Allons, Madame. Cessez de geindre et de vous apitoyer. On ne peut jamais échapper à ce pourquoi l’on est fait. Croyez-moi, on en discute là-haut. Combien de gens ont dit des choses qui auraient pu depuis la nuit des temps influencer l’homme ? Une foule ! Certes, le bonheur des uns s’acquiert toujours sur la misère des autres. Mais regardez, regardez Mélanie. Où est passé votre âme dans ce XXIe siècle ? Nous, au moins on avait la niaque ! Là, j’entends de la musique, mais où sont les musiciens ? Où sont les William Byrd, les Thomas Weelkes ou les Thomas Morley ? (10). Les trompettes et les tambours, les violes et les cithares, les luths et les flûtes ? Où est l’émotion, la respiration ? Comment est-ce possible de détruire à ce point l’âme de la musique ? Où est-elle donc votre âme, à tous « panses à cervelle de glaise » que vous êtes ? Vers quelles limbes obscures s’est-elle réfugiée, apeurée, frileuse et fripée de tous vos compromis ? Où est-elle quand vous approuvez ou ne réagissez pas aux couleuvres que vous font avaler vos gouvernements, alors que vous ne risquez plus d’être pendus haut et court pour vos idées ? Je vous le dis, rien n’a changé. L’humanité est pourrie. Elle se laisse gangréner par la corruption de ses maîtres. Hier, les rois, aujourd’hui Google, votre nouveau maître et ses disciples, les caddies. Pourtant dans cette mappemonde virtuelle, même là vous avez matière à grandir, mais très peu le font. Amour et pornographie font le même score en termes de recherche. « Quelle époque terrible, que celle où des idiots dirigent des aveugles ». Où est-elle votre âme quand vous magnifiez l’art contemporain en vous extasiant devant des étrons monumentaux ? (11). Je vous jure, Jérôme Bosch et Le Titien en ont pleuré. L’art, gente dame, doit être nourricier, utile. Sa fonction fondamentale est d’éduquer. En cela il est sacré. Sinon c’est de la poudre aux yeux.
– Je…
– Attendez, je n’ai pas fini. Ce n’est pas tous les jours que l’on peut rompre avec son éternité ! Où est-elle votre âme quand vous laissez tous ces Othello, chassés par des guerres auxquelles vous collaborez silencieusement, fuir leur terres dont vous les avez spoliés pour mettre du pétrole dans vos voitures, et ce, bien avant qu’explosent les bombes. Les puissants du monde ne varient jamais leurs magouilles et coups fourrés. Hier comme aujourd’hui, les peuples subissent et s’adaptent. Où est-elle votre âme quand vous les laissez se noyer en mer ou assistez impuissants à la dispersion de leur famille, tel mon Égeon de La Comédie des Erreurs. Un môme dans un camp de réfugiés, la mère dans un autre. Certes, dans ses coques d’infortune, il y a aussi des Iago. Mais, ma fille, ne vous ai-je point appris qu’il y a un Iago en chacun de nous, que tout dépend des circonstances ? Ah, mais bien sûr, je suis un raciste. J’ai fait du Maure une victime de l’intégration, opinent certains qui méconnaissent le fait qu’au XVIe siècle un général des armées de Venise noir ne prêtait pas à sourire. N’ai-je point écrit : « le mérite d’un homme réside dans sa connaissance et dans ses actes non point dans la couleur de sa peau ou de sa religion… ». Le raciste dans l’histoire, selon vos conceptions, c’est Iago, le Blanc. Où est-elle votre âme et qu’ai-je à faire de votre adulation et de vos applaudissements quand j’observe que vous laissez mourir votre planète. Point de générosité, point de partage. Que nenni ! A chacun ses vaches et son blé ! Pour vous, elle n’est rien d’autre qu’une servante à votre service. Vous la troussez tous les jours, vous la rongez jusqu’aux os, vous vous en désaltérez jusqu’à plus soif. Encore un effort, et vous allez mettre ses océans au chômage, sa terre est déjà sous perfusion constante. Votre technologie vous rend sourds et aveugles ! Vous omettez le fait que les mécanismes de l’univers, les actions des hommes et celles du cosmos sont en relation les unes avec les autres. Parfois elles se prolongent, parfois elles se confondent ou encore se dissocient. En perturbant l’ordre de la Nature, l’Homme bouleverse celui du Monde. « Tu vois les cieux qui, troublés par l’action de l’homme menacent son théâtre ensanglanté… ». Comprendre, Mélanie, n’est pas entendre au sens étymologique du terme. Vivre la philosophie n’est pas en parler, mais la mettre en pratique.
La nuit était tombée. Le bar s’était peu à peu rempli. Au milieu du tohu-bohu qui en résultait, il devenait difficile de converser. Dehors, il faisait froid. Shakespeare me regarda un long moment sans rien dire, sa pipe éteinte au creux de sa main.
« Sang-Dieu, ai-je donc servi vraiment à si peu de chose ? Comment peut-on oublier cette évidence : « Quand les efforts des hommes tendent vers un but commun, leurs souffles s’harmonisent d’eux-mêmes », murmura-t-il dans un soupir. Bah, « Mieux vaut mourir incompris que passer sa vie à s’expliquer ». Je n’ai point à rougir, Mélanie. J’ai fait mon devoir d’homme, celui que le destin m’avait confié, élevé par la suggestion l’entendement d’autrui. Mais celui à qui incombe ce devoir doit accepter sa solitude. Je reviendrais, soyez en sûre. Je vous parlerai du mythe Shakespeare. Après tout, pour paraphraser Orlando dans Comme il vous plaira, « Je n’occupe au monde qu’une place qui est beaucoup mieux remplie depuis que je l’ai laissé vide » (12), me dit-il encore en souriant, avant de disparaître.
Glissé sous la pipe, un papier soigneusement plié sur lequel il avait écrit ces quelques mots :
« Je me sens toujours heureux, savez-vous pourquoi ? Parce que je n’attends rien de personne. Les attentes font toujours mal, la vie est courte. Aimez votre vie, soyez heureux, gardez le sourire et souvenez-vous : avant de parler, écoutez. Avant d’écrire, réfléchissez. Avant de prier, pardonnez. Avant de blesser, considérez l’autre. Avant de détester, aimez et avant de mourir, Vivez ».
« Le monde entier est un théâtre, et les hommes et les femmes ne sont que des acteurs ; ils ont leurs entrées et leurs sorties. Un homme, dans le cours de sa vie, joue différents rôles ; et les actes de la pièce sont les sept âges : dans le premier, c’est l’enfant, vagissant, bavant dans les bras de sa nourrice. Ensuite l’écolier, toujours en pleurs, avec son frais visage du matin et son petit sac, rampe, comme le limaçon, à contrecœur jusqu’à l’école. Puis vient l’amoureux, qui soupire comme une fournaise et chante une ballade plaintive qu’il a adressée au sourcil de sa maîtresse. Puis le soldat, prodigue de jurements étranges et barbu comme le léopard, jaloux sur le point d’honneur, emporté, toujours prêt à se quereller, cherchant la renommée, cette bulle de savon, jusque dans la bouche du canon. Après lui, c’est le juge au ventre arrondi, garni d’un bon chapon, l’œil sévère, la barbe taillée d’une forme grave ; il abonde en vieilles sentences, en maximes vulgaires ; et c’est ainsi qu’il joue son rôle. Le sixième âge offre un maigre Pantalon en pantoufles, avec des lunettes sur le nez, et une poche de côté : les bas bien conservés de sa jeunesse se trouvent maintenant beaucoup trop vastes pour sa jambe ratatinée ; sa voix, jadis forte et mâle, revient au fausset de l’enfance, et ne fait plus que siffler d’un ton aigre et grêle. Enfin le septième et dernier âge vient finir cette histoire pleine d’étranges événements ; c’est la seconde enfance, état d’oubli profond où l’homme se trouve sans dents, sans yeux, sans goût, sans rien » (William Shakespeare, Comme il vous plaira, II, 7, traduction François-Victor Hugo).
Mélanie Talcott
(1) Tolstoï in Qu’est-ce que l’art ?, 1898
(2) Léonard de Vinci : voir The notebooks of Leonardo Da Vinci
http://digital.library.upenn.edu/webbin/gutbook/lookup?num=5000
(3) Avicenne : une ampleur variable selon les sources (276 titres pour G. C. Anawati, 242 pour Yahya Mahdavi), l’œuvre d’Avicenne est nombreuse et variée. Avicenne a écrit principalement en arabe classique, mais parfois aussi dans la langue vernaculaire, le persan. Il est l’auteur de monuments, d’ouvrages plus modestes, mais aussi de textes courts. Son œuvre couvre toute l’étendue du savoir de son époque : logique, linguistique, poésie / physique, psychologie, médecine, chimie / mathématiques, musique, astronomie / morale, économie / métaphysique / mystique, commentaires du Coran.
(4) Comte Southampton : Henry Wriothesley, 3e comte de Southampton (6 octobre 1573 / 10 novembre 1624). On dit que celui dont il obtint en 1593 la protection et à qui il dédia ses premiers écrits, était en fait le véritable Shakespeare.
(5) Francis Bacon : né le 22 janvier 1561. Si l’on ne sait pas grand-chose de son enfance, il est de notoriété publique que le futur philosophe fit très vite preuve d’une très grande vivacité d’esprit. En avril 1573, à l’âge de 12 ans, il entre à l’université de Cambridge. Son penchant scientifique est évident et il souhaite déjà reformer de nombreux d’aspects. À l’âge de seulement 16 ans, il écrit un ouvrage où il s’oppose totalement à la philosophie d’Aristote. Il quittera pendant un temps la pratique des sciences pour voyager. Il se rend en France, à la cour d’Henri III, avec Amias Paulet, qui n’est autre que l’ambassadeur d’Angleterre. Lire la suite ici : http://cours-de-philosophie.fr/ressources/les-philosophes/bacon/
Francis Bacon baron de Verulam, vicomte de St Albans, Chancelier d’Angleterre, agent du moine vénitien Paolo Sarpi (1552, 1623) prôna une méthode scientifique empiriste et positiviste qui inspira Auguste Comte. Il précisa les règles de sa méthode dans Novum Organum ; c’est lui qui a pollué toute la pensée scientifique jusqu’à nos jours.
(6) Christopher Marlowe : (baptisé le 26/02/1564 à Canterbury, mort le 30 mai 1593 à Deptford), dramaturge, poète et traducteur anglais de l’ère élisabéthaine. Tragédien élisabéthain contemporain de Shakespeare, à deux mois près son jumeau, il est connu pour sa maîtrise du pentamètre iambique, pour ses protagonistes emblématiques, ainsi que pour sa mort violente, prématurée et entourée de mystère. Il passe pour l’un des précurseurs de la tragédie moderne, pour le créateur du vers blanc, et pour père fondateur du drame élisabéthain.
(7) Benjamin Johnson (dit Ben), (Westminster, Londres, 11 juin 1572, Londres, 6 août 1637) est un dramaturge anglais de la Renaissance. Inventeur de la « comédie des humeurs », il est notamment connu pour ses pièces Volpone et L’Alchimiste, ainsi que pour son amitié et sa rivalité avec William Shakespeare.
(8) Dans un pamphlet intitulé A Groatsworth of wit bought with a million repentance Robert Greene (alors dramaturge à la mode) désigne Shakespeare comme un « corbeau arrogant, embelli par nos plumes, dont le cœur de tigre est caché par le masque de l’acteur, et qui présume qu’il est capable de déglutir un vers aussi bien que les meilleurs d’entre vous : en plus d’être un misérable scribouillard, il se met en scène dans sa dramatique vanité ».
(9) Henry VI (1421-1471) roi d’Angleterre (1422-1461 et 1470-1471) : Premier des souverains anglais à porter le titre de « roi de France » en invoquant des droits affirmés par le traité de Troyes de 1420 et légitimés par le Parlement de Paris ; seul souverain sacré en France, mais à Notre-Dame de Paris pour riposter au sacre de Charles VII à Reims. Âgé de neuf mois seulement à la mort de son père, Henri VI a été longtemps tenu à l’écart par le régent de France, Bedford, et le régent d’Angleterre, Gloucester. Son règne est marqué par l’effondrement des mirages continentaux, consacré dès la perte de la Normandie (1450) et de la Guyenne (1453). Ses défaites extérieures, sa faiblesse de caractère, la folie périodique qui le frappe à partir de 1455, son intérêt plus vif pour l’érudition et la vie religieuse que pour les affaires temporelles contribuent à saper son autorité. Prisonnier de clans qui cherchent à l’annexer, il abdique progressivement tout pouvoir réel et, malgré la mort de Richard d’York en 1460, perd en fait la couronne, en 1461, au profit d’Édouard IV. L’énergie de son épouse, Marguerite d’Anjou, et la vivacité des rivalités lui rendent le pouvoir en octobre 1470, mais Édouard IV le capturera de nouveau l’année suivante et le fera probablement assassiner. Ces querelles dynastiques, où s’opposent la rose blanche des York et la rose rouge des Lancastre (d’où le nom de guerre des Deux-Roses), achèvent de ruiner l’œuvre de restauration des premiers souverains de la dynastie lancastrienne. Henri VI, que certains contemporains ont considéré comme un saint, a été la victime d’une impopularité que n’a guère tempérée la relative prospérité du royaume.
(10) William Byrd, Thomas Weelkes, Thomas Morley : contemporains de Shakespeare, compositeurs et musiciens qui composèrent la musique accompagnant certaines de ses œuvres.
(11) Etrons monumentaux Complex shit Paul McCarthy.
(12) Phrase exacte : « Je n’occupe au monde qu’une place qui sera beaucoup mieux remplie quand je l’aurai laissée vide », Comme il vous plaira, Scène II.
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