Quand on aura le temps, Cédric Bonfils
Quand on aura le temps, août 2017, 70 pages, 11 €
Ecrivain(s): Cédric Bonfils Edition: L'Harmattan
« C’est du théâtre… »
La première de couverture d’un livre se doit d’être une invitation à la lecture, une « image » du texte, comme un premier songe de lecture. L’illustration qui accompagne la pièce de Cédric Bonfils est au contraire une abomination : comment l’éditeur a-t-il pu publier en l’état ce texte doux et subtil avec une telle couverture ? Certes, l’on retrouve deux personnages adolescents assis dans l’herbe côte à côte, comme dans la scène 5, mais présentés dans d’atroces couleurs : la jeune fille au visage bruni (l’enfant du voyage), vêtue tout en rose et le garçon du village, lui comme par hasard au teint très blanc. Je passerai sous silence les connotations pitoyables de tout ceci. Il faut donc se faire violence pour tourner les pages du livre, aller vers les dédicaces nombreuses (5 dédicataires de l’intimité de l’auteur sont mentionnés) et inscrites dans l’enfance et l’amitié, en prélude au leitmotiv du voyage et à celui du temps nécessaire à la vie, semblable à une route.
Quand on aura le temps est un texte de commande, dans le cadre des actions menées dans la Somme par l’association Le Cardan, à partir d’un atelier d’écriture et d’expression orale animé par l’auteur, auprès d’enfants du voyage, installés alors au camp de Saveuse.
Le texte s’affirme d’abord comme un objet de la théâtralité, posant le cadre de son écriture : un acte, cinq scènes, des lieux assez répétitifs dans les environs d’un village picard avec sa distribution à deux personnages : une enfant du voyage et un enfant du village (ceux de la vilaine couverture) (p.11). Mais ce qui est plus essentiel à en croire le choix des capitales d’imprimerie, c’est l’unité du temps théâtral classique, qui saisit l’existence nomade des gitans, la redouble en quelque sorte.
Gens du voyage, 24 heures seulement
La fable de la pièce repose sur les moments de rencontre dans le paysage bucolique de la toute première question (T’es qui ? demande l’enfant du village) à la dernière scène qui ouvre la possibilité d’une amitié. De la périphrase de leur position sociale, à la découverte de leur prénom intime : Chance-Mélodie et Arthur, prénoms de poésie, de littérature médiévale. Un nom sans adresse. Comme les héros, les stars et les anges (p.65). Le choix même du dialogue comme fer de lance de la parole rejoint cette nécessaire théâtralité construite sur le débat, l’opposition (des sexes et des rôles sociaux) d’où Cédric Bonfils fera émerger peu à peu l’apaisement en faisant lutter contre le temps, les deux adolescents. Ce qui compte justement, c’est de tenter de soumettre ce temps si court, si menaçant. Au début de la courte pièce, l’enfant du voyage dit : on n’a pas le temps, comme si l’espoir de fraterniser était absolument impensable alors qu’à la fin les deux personnages s’expriment au futur comme le prédit le titre, quand on aura le temps. C’est de cela qu’il est question ; les rencontres cruciales sont à saisir comme le temps de l’écriture dramatique qui compresse par convention la durée. Ainsi une bonne partie de la dernière scène tourne-t-elle autour de la question du théâtre dont parlent les deux personnages (à partir de la page 54). En effet l’enfant du village dit qu’il a fait une rédaction sur le théâtre tandis que l’enfant du voyage lui explique qu’elle est allée au spectacle à Amiens. Les deux enfants alors s’abandonnent ensemble à l’imaginaire d’une scène : C’est du théâtre… s’ils se tuent et si ça parle. Le théâtre les réconcilie, les réunit à la différence des lois sociales qui par exemple poussent Arthur à traiter, à un moment, Chance-Mélodie de « cas social ». En vérité ce que Cédric Bonfils défend, c’est que l’amitié de ces deux êtres si différents au départ ne peut avoir lieu que dans l’échange, celui de l’écriture, des aventures imaginées d’un Lucky Luke ou d’un boa et dans la sienne propre.
La pièce a été lue aux gens du voyage au camp et proposée également aux élèves d’établissements scolaires de Picardie.
Marie Du Crest
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