Quand nous regardions depuis notre terre, Jean-Louis Rambour, Jérôme Delépine (par Murielle Compère-Demarcy)
Quand nous regardions depuis notre terre, Jean-Louis Rambour, Jérôme Delépine, éditions L’herbe qui tremble, juin 2021, 38 pages, 16 €
Nous pourrions trébucher sur le titre : où nous emmène le poète lorsqu’il écrit Quand nous regardions depuis notre terre – avec en toile de fond, pour la première de couverture, Lumière du jour du monde (2021), du peintre Jérôme Delépine dont l’œuvre accompagne les 31 poèmes de l’opus ? Temps révolu, étayé par l’emploi de l’imparfait de l’indicatif introduit par une conjonction de coordination indiquant un point de repère temporel, « quand » ? Nous sommes bien ici dans le réel, non dans un monde conditionnel. Le poète Jean-Louis Rambour n’a pas intitulé son recueil Si nous regardions depuis notre terre, mais bel et bien Quand nous regardions depuis notre terre. N’y trouvons pas de nostalgie (même si quelquefois restent « (…) des traces de doigts / de cheveux, regrets, noirceurs »), n’y cherchons pas un paradis perdu, Rambour est, ainsi que l’avaient titré les Cahiers d’arts et de littératures dont un numéro (n°7) lui était consacré aux éditions du Petit Véhicule, un « poète en temps réel ».
Retrouvons ici plutôt la fresque d’une époque révolue où nous étions encore connectés au monde complexe de façon simple, objective, attentive. Nous apprenons également à la fin du recueil que le livre a été réalisé en partenariat avec la Galerie Papiers d’Art, sise à Paris dans le 3e arrondissement, et représentée par Yuri Levy-Kumata, dans le cadre de l’exposition homonyme, Quand nous regardions depuis notre terre, en mai 2021. Le contexte est éclairci.
À la page 29 le poème reprend le titre dans son premier vers à partir duquel une vision du monde se déploie, focus contextualisé :
Quand nous regardions depuis notre terre
nous avions devant nos yeux
un petit Golgotha, une sorte de mont du crâne
pour enfants, un centre du monde
en miniature. Avec des erreurs
dans la représentation : le Christ était déjà
dans son tombeau, deux pleureuses
se soutenaient maladroitement
et le ciel n’était fendu d’aucune déchirure.
Les balises de notre immersion dans le monde étaient ainsi installées, jalonnant de leur symbolisme l’espace-temps, nous interprétions le monde depuis son cadastre civilisationnel marqué par l’Histoire et nos histoires personnelles. Quelle que soit l’époque, le mystère du monde demeure, et même si
nous étions proches d’obtenir le palimpseste
qui nous aurait permis de recréer
sur les erreurs, les paroles vaines, fausses
écrit le poète, nous ne sommes pas parvenus à « retrouver les origines ».
Si le point de vue de notre regard a changé / change, est-ce notre posture face à l’éternité qui a déplacé nos horizons modifiant la lumière de nos passages sur terre ?
Ne plus regarder depuis notre terre, n’est-ce pas survoler l’espace-temps ? Au détriment de la terre, ou, du point de vue de notre évolution personnelle et au fil du temps nous retrouvant comme en apesanteur et délestés des peurs qui engluent nos souffles du poids des choses du quotidien ? Avons-nous été capables de vivre nos rêves, la question est posée :
Nous ramions, nous ramions, bientôt
les paumes de nos mains s’y efforçaient
elles-mêmes, en vain. Nous étions des bêtes
incapables de ronger nos amarres.
Depuis quelle hauteur peut-on se targuer de pouvoir fêter en un royaume durable les noces de la vie et de l’imaginaire comblés ? Ecrire, vivre le chant / la danse poétique du monde, est-ce pétrir les mots et mettre le cap vers le « lac aux eaux blanches » des origines situé au centre de la Terre, là où se risquent les savants, les fous, les explorateurs ?
Murielle Compère-Demarcy
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