Quand nous étions révolutionnaires, Roberto Ampuero
Quand nous étions révolutionnaires, Traduit de l’espagnol (Chili) par Anne Plantagenet, 4 septembre 2013, 492 pages, 22,90 €
Ecrivain(s): Roberto Ampuero Edition: Jean-Claude Lattès
Voilà un roman qui ne manquera pas de surprendre : le récit à peine romancé de la vie d’un jeune militant chilien ébloui dans sa jeunesse par l’idéal révolutionnaire, qui est nommé le Chilien tout au long du roman, ou camarade, amigo, selon les interlocuteurs. Nous sommes dans les années 70, peu après le putsch du 11 septembre qui a provoqué le renversement du Président Salvador Allende, leader de l’Unité Populaire au Chili.
Le Chilien quitte son pays, en proie à une répression cruelle et s’installe en Allemagne de l’Est où il rencontre Margarita Cienfuegos, jeune étudiante. L’idylle serait parfaite si le Chilien n’apprenait, au hasard de ses contacts et entrevues dans les milieux diplomatiques et militants, que cette jeune femme est la fille d’un des caciques du régime castriste et qu’il traîne derrière lui un passé très chargé : il a été procureur de la République à Cuba, a fait condamner et fusiller à ce titre beaucoup de « contre-révolutionnaires ».
Il accepte de suivre cette jeune femme à La Havane, car il est encore persuadé de la justesse des idéaux révolutionnaires et de la victoire du socialisme réel sous le soleil des Caraïbes. Il déchante bien vite et découvre à Cuba la pénurie alimentaire, la censure, l’homophobie, des formes de discrimination raciale.
L’un des mérites essentiels de ce roman est de décrire jusque dans les moindres détails les cheminements moraux et psychologiques des personnages du récit. Ainsi, le Chilien se persuade-t-il de la justesse de sa cause par l’horreur des atrocités du camp adverse : « Je suis certain que notre virage, sincère et profond, fut moins provoqué par l’idéologie que par les actions terroristes de la DINA de Pinochet et des contre-révolutionnaires de Miami. Ces récits que nous écoutions, horrifiés (…) nous impressionnaient (…) Ils émanaient de personnes en chair et en os qui racontaient ces épouvantables épisodes entre crises de larmes et silences prolongés ».
Le doute saisit notre militant lorsqu’il apprend, par l’intermédiaire d’un jeune bibliothécaire, que l’on brûle des livres à Cuba aussi, comme en Allemagne au temps des nazis… Ces sentiments sont liés à la relation qu’il a avec Margarita et introduisent le doute quant à la véracité des sentiments qu’il lui porte : « Margarita était dévorée par la préservation de son poste au sein de la FMC ; moi, par l’incertitude au sujet de notre avenir, en particulier parce que je n’avais plus confiance, politiquement, en elle ».
Ce qui emporte l’adhésion dans ce roman, c’est le caractère équilibré du récit : les doutes y sont exposés, l’humanité des interlocuteurs de tout bord aussi. Les dialogues laissent la place à d’amples débats mêlant la culpabilité, le remords, l’espoir, la générosité. Le passé de Cuba est évoqué, l’architecture des maisons de Miramar, quartier résidentiel de La Havane, la persistance de cultes superstitieux telle que la santeria. Toutefois, l’auteur n’est jamais amer, il ne stigmatise pas l’idéal en tant que tel, mais les dérives occasionnées par l’exercice des dictatures, de toute couleur politique. Il l’exprime très bien dans l’épilogue du récit, où il espère encore « explorer les grandes allées de la liberté avec les Cubains ».
Stéphane Bret
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