Quand la politique tue, Dominique Labarrière
Ecrit par Vincent Robin 06.11.14 dans La Une CED, Documents, Les Dossiers
Quand la politique tue, Dominique Labarrière, La Table Ronde, octobre 2014, 160 pages, 16 €
La place éminente occupée par eux sur le devant de la scène publique et leur disparition subite sous forme d’un rendez-vous inopiné avec la mort sont les marques premières qui les assemblent. A des degrés d’implication différents mais avec une même appartenance au monde politique, tous également se sont révélés par une notoriété ressortie du contexte français de la République. A partir de là, mais à des moments distincts et pour des motifs séparés, se voit leur convergence vers un sort unique : une mort non point scellée par la maladie ou l’accident fatidique, celle que réserva autrement la brutalité du suicide ou de l’attentat.
Ils sont alors ces hommes que les honneurs élevèrent tout d’abord plus ou moins haut sur les marches glorieuses de la société nationale lors du siècle échu, mais qu’un destin tragique frappa soudainement, souvent sans beaucoup crier gare. Tour à tour et derrière elle, chaque victime aura ainsi laissé, non point de seules évocations douloureuses, plutôt et surtout d’assez vivaces suspicions relatives aux causes ou aux analyses de son décès. Grâce à un exposé synthétique et clair de la position de ces acteurs remis au-devant de leur funeste mésaventure, le journaliste Dominique Labarrière explore, une à une et en de saisissantes chroniques, les circonstances particulières ayant amené ces ruptures de vie qui perpétuent encore derrière elles incertitudes et interrogations.
Sadi Carnot en 1894 et Paul Doumer en 1932 furent deux présidents de la République française assassinés pendant l’exercice de leur mandat. L’un à Lyon, l’autre à Paris incarnaient probablement au jour de leur exécution ces décideurs ultimes détenant avec eux la clé de tout espoir d’un soulagement social et populaire, celui du redressement possible et solennel de certaines iniquités. Distingués alors par des aptitudes mentales sans comparaison et ainsi que les présente D. Labarrière, leur assassin respectif, Santo Ironimo Caserio pour le premier, Pavel Gorgoulov pour le second avaient en commun tout d’abord une naissance étrangère. Non point qu’il y ait en cela sujet à détecter la source d’une nuisance inéluctable, se révèle pourtant sous ce signal extérieur la flagrance d’un symbole d’exemplarité longtemps reconnu à la nation française. Sous le regard du monde, ne figura-t-elle en effet jamais cette terre promise à la justice sociale, à la démocratie et aux moyens économiques de survie garantis à tous ? Le premier meurtrier se dévoila anarchiste quand celui du président Doumer apparut tel un dérangé mental, cependant activiste antibolchévique du Caucase. Ces deux distinctions, que rien ne semble rattacher absolument, s’insèrent pourtant au cœur d’un schéma de société unique et en lequel probablement toutes deux reflètent le produit dévastateur des exaltations nées des pauvretés ambiantes, furent-elle d’esprit ou plus étroitement matérielles. C’est bien en tout cas ce qu’un rapprochement entre ces deux attentats suggère par la lorgnette politique.
Bientôt, de Jaurès à Salengro et jusqu’à Boulin, Fontanet ou encore Grossouvre, s’étend ce travail d’enquête qui, sans les associer directement, les relie pourtant d’un même genre de préjudice rencontré. Dans une commune mesure en effet, tous ces exemples se voient résolus de morts suspectes ou par des traitements indélicats quand encore, et sans doute réside en cela le point crucial, le spectre général de la politique leur procure un cadre d’illustration non moins récurrent que sous-jacent. Controverses nées de l’instant ou résurgentes, orientations d’enquêtes immédiates ou à contretemps, spéculations durables autour des responsabilités, évolutions sensibles des perceptions liées aux disparitions tout encore entourées de mystères énumèrent ainsi cette part conséquente du contenu auquel l’auteur consacre ses recherches quelquefois confondantes. Avec une écriture persuasive sont alors déployés les récits de ces instants rocambolesques ou délétères, à travers lesquels l’avidité de lecture engendrée par le poignant descriptif des situations reste accrochée solidement. En mauvaise posture à l’Assemblée face à son virulent persécuteur, Roger Salengro essuie bientôt dans une prostration touchante et sous la traduction vibrante de l’auteur les assauts agressifs du chef de file de ses accusateurs :
« Epuisé, tant physiquement que moralement, il fait pâle figure dans l’hémicycle tandis que le député Becquart développe son argumentation, qu’il maîtrise à la virgule près. Il prépare ses attaques depuis si longtemps ! D’emblée, il donne les noms de ceux, simples soldats, sous-officiers ou officiers, dont les témoignages sont accablants pour le ministre » (p.47).
Le suicide en 1932 et consécutif du réputé maire de Lille, également membre éminent du gouvernement de Léon Blum, n’aura par la suite trompé personne. Mensonges et calomnies sur son rôle lors de la précédente guerre furent le plus sûrement les recours utilisés par les détracteurs du ministre réputé. Les attaques du dénommé Becquart apparurent plus tard par instigation d’une vengeance plutôt personnelle et tandis que le verdict des urnes l’avait auparavant débouté d’une accession jalouse à la mairie de la grande ville du Nord…
« Quand la politique tue » annonce le livre de Dominique Labarrière. Sous ce titre choc mais rempli d’induction, et avant même la revue des exemples proposés à l’illustration de ces plus percutants cas d’aboutissement, l’utilisation générique du mot politique suggérant la composition machiavélique d’un bras sans chair et en capacité d’occire ne peut manquer de susciter quelques réactions. Lorsque qu’elle donne à entrevoir sous ces tournures meurtrières, non point l’extrémité où elle est parfois acculée et contre laquelle elle n’est dotée d’aucune parade très absolue mais plutôt la fatalité où elle conduit inexorablement, la politique au sens où elle est admise communément ne saurait en effet nous rassurer du sentiment qu’elle pourrait sortir quelquefois indemne d’une telle accusation. Se croyant sûrement dévoués aux plus nobles causes dans leurs fonctions d’édiles honnêtes et consciencieux, de magistrats soucieux du bien-être collectif, probablement nombreux seraient alors les acteurs politiques du quotidien actuel les plus petits à se sentir cette fois émus de leur appartenance à une organisation quasiment pliée par principe à la finalité du crime…
Dans une société où la responsabilité du fait et du devenir de ses membres repose sur des semblables mais qui se distinguent en se consacrant de toute manière à la cause collective, se révèle le degré initial d’une instauration politique. Il s’agit donc bien de l’affaire des individus considérés ensemble et ainsi que le concevait déjà Platon à son époque au regard de la cité : « Le bon politicien a pour tâche d’éduquer et d’unir les hommes trop tempérants et trop fougueux pour les amener à la juste mesure et par là en faire de bons citoyens, capables de suivre les lois ou de les critiquer, s’ils possèdent la science le leur permettant, en vue du meilleur ». La politique, en elle-même et sous l’angle de la « juste mesure », n’est donc rien d’autre qu’un agencement abstrait grâce auquel, sous différentes formes mais avec des recherches voulues heureuses, les individus régulent des équilibres entre eux. Non point normalement ainsi la politique devrait-elle alors se définir sous l’aspect d’une entité qui agirait de son fait propre sur le devenir d’aucun. Ainsi que nous le dit Platon, conçue d’un pouvoir qui s’offrirait comme absolu profit aux hommes, on ne saurait entendre qu’un manquement grave fût imputable à la politique autrement que derrière la pure défaillance de certains d’entre eux. Cela équivaut à dire que ce sont les hommes qui commettent des exactions et tuent quelquefois, non point la politique dont la fonction se destine à la promotion théorique des vertus. On peut aussi ne rien admettre ou comprendre de ce que nous expliqua Platon…
Quand la politique tue : dommage pour ce titre, certes très détonateur et expressif, mais déplorablement suggestif d’une essence perverse et pernicieuse !
Vincent Robin
Dominique Labarrière est l’auteur de nombreux romans dits « de gare ». A enseigné la philosophie. Écrit aussi sous le pseudonyme « Jacques de Saint Paul » commun à plusieurs auteurs d’ouvrages dans la Collection Cécile et Jean aux Éditions Media 1000 et sous le pseudonyme « Christian Laurac » commun à plusieurs auteurs d’ouvrages dans les collections Aphrodite, Cupidon, Diane, etc. aux Éditions Eurédif. Responsable de la rédaction d’un groupe de périodiques du centre de la France (en 1988). Chroniqueur judiciaire, Dominique Labarrière a écrit de nombreux ouvrages, romans d’investigation et essais. Il a signé, en 2003, Cet homme a été assassiné… La mort de Bérégovoy, une enquête sur la disparition du Premier ministre parue aux éditions de La Table ronde, ainsi qu’en 2010, L’affaire Jacques Viguier, publié chez Alphée.
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A propos du rédacteur
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Rédacteur
Domaines de prédilection : histoire, politique et société
Genres : études, essais, biographies…
Maisons d’édition les plus fréquentes : Payot, Gallimard, Perrin, Fayard, De Fallois, Albin Michel, Puf, Tallandier, Laffont
Simple quidam, féru de lecture et de la chose écrite en général.
Ainsi né à l’occasion du retour d’un certain Charles sous les ors de la République, puis, au fil de l’épais, atteint par le virus passionnel de l’Histoire (aussi du Canard Enchaîné).
Quinquagénaire aux heures où tout est calme et sûrement moins âgé quand tout s’agite : ce qui devient aussi plus rare !
Musicien à temps perdu, mais également CPE dans un lycée provincial pour celui que l’on croirait gagné.
L’essentiel paraît annoncé. Pour le reste : entrevoir un rendez-vous…