Quand la langue française s'algérianise ! par Amin Zaoui
La littérature algérienne de langue française se porte bien. Elle est en bonne santé. La preuve est là : félicitations à l’écrivain et journaliste Kamel Daoud pour le prix Goncourt du premier roman qu’il vient de décrocher cette semaine. Cette distinction est une fierté pour l’Algérie littéraire et culturelle. Même si, en Algérie, les clowns insultent les meilleurs de nos enfants, ces derniers trouveront toujours le chemin de la gloire.
Si, avec grande tristesse, nous avions perdu ces derniers mois deux grands écrivains : Assia Djebar et Malek Alloula, la scène littéraire internationale nous confirme que la relève est assurée. Et la distinction de Kamel Daoud en est la preuve. Une nouvelle génération littéraire, doucement et avec aisance, s’installe dans l’imaginaire international. Dans la lecture universelle. Dans l’attente du lectorat. Si la première génération d’écrivains algériens de langue française, celle des années 1950, a été élevée dans la souffrance coloniale, dans l’humiliation, dans la pauvreté, dans la guerre de Libération, de son côté, la nouvelle génération, celle des années 1980, est née et forgée dans l’amertume nationale. Dans la déception. Dans la guerre des frères. Dans le sang. Dans la résistance au fanatisme islamique. Cette génération, il faut le signaler, n’a fait que le chemin de l’école algérienne. Elle est la victime des retombées d’une arabisation enrhumée et islamisée. Elle a grandi, elle s’est formée sous le règne d’un régime de plomb cimenté d’une culture Jdanovienne.
Avec brio, ces diables génies ont brisé le silence complice en profitant d’une langue, la langue française. Cette langue qui depuis plus d’un demi-siècle est maudite dans les discours de la classe politique. Une classe politique qui n’a pas cessé, une seule nuit, un seul jour, de crier sur tous les toits, dans toutes les oreilles, que le français est une langue infecte. Langue de Hizb frança ! Et voici, des nouvelles plumes, appartenant à une nouvelle génération qui commence à voyager dans les géographies ! À faire voyager l’Algérie. Dire l’amour. Sculpter les blessures. Colorer le rêve avorté.
De la génération littéraire des années 1950, il ne reste que l’écrivain Kaddour M’hamsadji, que je salue, en lui souhaitant bon rétablissement.
Dans la nouvelle littérature algérienne d’expression française, chez Kamel Daoud, Mustapha Benfodil, El Mahdi Acherchour, Hakim Laalam, Adlène Meddi, Chawki Amari, Abder Abderrachid, Sabine Challal, Hajar Bali, Sarah Haidar… Eh bien nous sommes en train d’assister à la naissance d’un phénomène linguistique et littéraire sans précédent.
Ces diables génies brisent, de plus en plus, la langue littéraire. Pour rendre cette langue belle et capable d’aller dans plus d’aventures, ils la violent sans la violenter. Ils usent d’une langue française algérianisée. Avec un parfum oranais, bechari, algérois, annabi, constantinois, sétifien, bougeotte…
Dans la nouvelle écriture littéraire algérienne d’expression française, comme dans les textes accompagnateurs de la caricature algérienne, de même dans la presse quotidienne, le français, de plus en plus, s’algérianise. S’enracine dans les parlers régionaux. La langue française, dans les nouveaux textes algériens, s’ouvre sur des musicalités locales, des nouvelles sonorités, d’autres architectures textuelles, ainsi on la trouve, toute chaude, dans la littérature algérienne.
Ces enfants génies adorent la littérature, l’aventure linguistique, la liberté et adorent l’Algérie à leur façon.
Amin Zaoui
Chronique régulière dans la quotidien "Liberté" (Alger)
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