Puta Madre, Patrick Besson
Puta Madre, octobre 2014, 192 pages, 7,10 €
Ecrivain(s): Patrick Besson Edition: La Table Ronde
Polar écrit au rythme soutenu d’un roman qui vous emporte, Puta Madre laisse un bonheur de lecture inaltérable. Le style & le rythme de l’écrivain captivent le lecteur. Patrick Besson a un style personnel dont le rythme marque par sa fluidité et ses rebondissements, sa concision, sa vitesse de F1 jouant avec brio avec le sens de la formule.
Les passages ne manquent pas où l’humour décalé refait le monde, dans le récit, dans la voix de l’auteur, dans les répliques (plus que des dialogues) et les pensées des personnages :
« – En ce moment, vous êtes marié ou divorcé ? – Il faudrait que je consulte mon avocat afin de ne pas dire de bêtises » / « Notre histoire d’amour aura duré six ans, ce n’est pas si mal. C’est deux fois plus que dans le film de Beigbeder ».
Les personnages séduisent par l’immaturité de leur comportement (« Il la prit dans un demi-sommeil béat, puis elle alluma une cigarette. Les ados fument pour être adultes et on reconnaît les adultes restés ados à ce qu’ils fument » ; aussi par leur humour (rehaussant la beauté comme presque poétique de certaines phrases : « Le champagne n’est pas de l’alcool, c’est de l’eau avec un sourire à l’intérieur »).
L’auteur séduit pas son style, unique, marquant le récit de son coup de patte personnel. Voix de l’auteur ou celle des personnages, la tonalité & la teneur du récit ainsi que les propos/pensées rapportés, séduisent immanquablement :
« Sur la plage, le vent et le soleil formaient un couple bizarre, comme David et Maximilien sur leurs transats. Les hôtels gigantesques étaient des souvenirs d’hôtel. Ils semblaient aussi peu habités que les temples mayas de la région. Le ciel recouvrait tout de son immensité changeante. Jamais Maximilien n’avait eu autant l’impression d’être loin de chez lui. – Est-ce que ce sera un moment d’éternité ? demanda David. Je veux dire : un de ces moments qui tournent en boucle dans notre esprit, comme quand on a appuyé sur la touche repeat track d’un iPod et que la même chanson se déroule encore et encore jusqu’à ce qu’on éteigne l’appareil. Je me souviens de Morgane buvant un verre de vin blanc, en février 1991, dans un café qui s’appelait Le Sans-Souci ».
« Il n’avait jamais vu un corps de garçon ressembler autant à un corps de fille et inversement. Il aimait qu’elle se servît de lui pour jouir sans s’inquiéter de ce qu’il ressentait, s’il avait ou non des sentiments pour ou contre elle. Ils se prirent avec un naturel foudroyant. Ils se balancèrent comme une barque sur l’océan démonté qu’ils voyaient par la fenêtre. L’Atlantique est une énorme machine à laver dont le tambour tourne jour et nuit ».
L’histoire est simple. Et la construction du roman de genre polar, très bien construit. L’air de rien, ce qui fait le tour de force de l’écrivain. Il semblerait, tant ce roman se lit dans la spontanéité & la durée du plaisir de la lecture, que Patrick Besson ait écrit son roman dans la foulée / avec une coulée continue et fluide sans rencontre d’alluvions ou autres récifs régulièrement rencontrés dans le cours du travail d’écrivain. Cela coule, dirait-on, de source, sans que soit entravé le travail du suspense à l’œuvre du début à la fin de l’intrigue. Le journaliste-romancier Philippe Lacoche* écrivait très justement dans l’une de ses chroniques, Les Dessous Chics : « Mine de rien ; c’est ce qui fait son charme au Besson. Cette légèreté grave qui a l’élégance de nous faire croire, à nous lecteurs, que c’est facile d’écrire. Alors que c’est si difficile ».
Ce combat mené de coups de maître, d’estocades en esquives, vaut d’ailleurs sous la plume de Philippe Lacoche le qualificatif d’écrivain-bretteur à Patrick Besson. L’expression imagée est éloquente.
Maximilien de Habsbourg, ainsi prénommé comme l’éphémère empereur du Mexique, se rend à Cancún, après avoir reçu le prix Léo-Malet du meilleur scénario de téléfilm policier au festival de Limoges. Virginie ne fêtera pas le troisième anniversaire de leur pacs à ses côtés, ayant finalement refusé d’accompagner comme prévu Maximilien à cause de son incessante infidélité tout fraîchement récidivée. Sur place, Maximilien passe d’un soleil à l’autre : de margaritas en stimulants locaux sans négliger quatre relations sexuelles plus ou moins chaudes avec des partenaires différents.
Les personnages de cette toile semblent embarqués dans la toile d’un vaste scénario dont Maximilien lui-même (comme les dialogues tissés, les répliques échangées dans les rencontres) repassent enflashback des extraits de films-phares. The Alamo, John Wayne, Metro-Goldwyn-Mayer, 1960 / Licence to Kill, John Glen, le James Bond de 1989 ; « Ses répliques préférées au cinéma étaient : You never pray, do you, Davy ? – I never found the time » (John Wayne dans The Alamo) ; I’m not rich, I’m a poor man with money (Hector Elizondo dans L’Amour aux temps du choléra) ; Nothing is unmakable(Stephen Baldwin dans Usual Suspects) ; It never existed the good old days, et : when the risk is negligible, the reward is negligible (Henry Fonda dans Mon nom est Personne) ; In war, you need to laugh, if not it is not worth going (Mel Gibson dans Air America) ; It’s over when I say it’s over (Mark Wahlberg dans le remake de Italian Job).
Comme des livres, des phrases et des mots d’écrivains éclairent aussi des passages & la trame shootée / en escalades & chutes assommées des jours en dérive des personnages : l’Histoire véridique de la conquête de la Nouvelle-Espagne de Bernal Díaz del Castillo ; Rêver peut-être, comme dit Shakespeare ; le tropisme avec les Françaises de David Appleton, un mot que David avait dû apprendre, quand il vivait à Paris, en lisant Nathalie Sarraute au soleil, sur une chaise du jardin du Luxembourg ; l’écrivain-parangon Hemingway ; Les derniers livres lus par David Appleton avaient été Tom Jones de Henry Fielding, le Journal de Gide (…), celui tenu par Eleanor Coppola pendant le tournage d’Apocalypse Now (Notes on the making of Apocalypse Now) et des poèmes posthumes de Charles Bukowski.
Auteur de telenovelas, Maximilien se sent presque par les circonstances, et ses rencontresapparemment de hasard, jeté malgré lui dans la peau d’un scénariste d’envergure, comme ce scénariste américain qu’il rencontre dès son arrivée à Cancún. Ce célèbre metteur en scène hollywoodien surnommé « l’Américain » est venu tenter de libérer sa fille Amber Castellanos, détenue à la prison pour femmes de Ciudad-Cancún, après avoir crevé un œil à un Mexicain aux connaissances assez larges pour mettre en péril une possible libération de la jeune femme. Le système d’incarcération mexicain pourrait ne pas la garder longtemps « sauf si le type en question (la victime) est le cousin du beau-frère d’un policier qui est l’oncle du bras droit d’un narcotrafiquant, auquel cas elle peut faire dix années de taule, à moins que je ne balance des milliers de dollars à toute la famille de la victime », réplique David Appleton le metteur en scène, père d’Amber.
Le fameux metteur en scène hollywoodien embauche – toujours lors de ces rencontres apparemment de hasard et qui émaillent le cours de l’intrigue – Maximilien comme interprète : « Je ne vais pas la (sa fille) laisser là. Le problème, c’est la langue. J’ai besoin d’un interprète en qui j’aie confiance », autrement dit un auxiliaire qui ne soit pas mexicain et qui parle l’espagnol. Embarqué dans le cours des événements apparemment déroulés à l’impromtu, Maximilien commente : « Je trouve du travail au Mexique deux heures après mon arrivée alors que des milliers de Mexicains quittent leur pays parce qu’ils sont sans travail ».
Mais ces nuits sur blancheur de coke & ces jours sans sommeil qui font prendre à ses rêveurs éveillés des raccourcis dignes des raccourcis buñueliens comme les aime Maximilien & télescopent les espace-temps de leurs univers (« Peux-tu m’expliquer pourquoi, il y a une seconde, j’avais dix-huit ans, et pourquoi, une seconde plus tard, j’en ai trente-neuf ? » – embarquent Maximilien de Habsbourg dans des situations tordues comme un sac de tortillas, la plus dramatique demeurant le double-meurtre de son ex-compagne et du metteur en scène hollywoodien.
« Un américain vient soudoyer la victime d’une agression commise par sa fille psychopathe, vous lui servez d’entremetteur, votre petite amie française couche avec lui, ils sont retrouvés morts tous les deux sur la route après avoir passé la nuit ensemble à l’hôtel où vous logez. Ça fait beaucoup, non ? – Beaucoup de quoi ? »
La totalité de l’intrigue se joue dans ces événements apparemment anodins et perçus comme tels à la fois par les personnages – principalement par le héros ou anti-héros Maximilien – et par le lecteur, emporté par l’auteur comme dans un piège. Ce piège fonctionne comme une toile d’araignée, dans un décor de mort en maraude & de blancheur de coke au milieu de narcofemmes (« Dans la piscine en forme de chargeur de kalachnikov – comme le Mexique lui-même, avait dit El Narco quand Maximilien lui en avait fait la remarque – nageait une narcofemme »).
Puta Madre signe un Patrick Besson efficace / envoûtant / contemporain dans son style au décor d’un exotisme captivant. L’ennui n’existe pas dans l’univers bessonnien, faute de temps. Besson écrit vite, avec ce sens de la formule qui fait sens / ses personnages vont vite / l’intrigue nous emporte là où l’on ne l’attend pas / là où l’on ne s’attend pas, lecteur-lectrice, être projeté(e) – un polar envoûtant où l’humour décalé met juste ce qu’il faut de distance en plongeant dans un décor glauque & pétillant pour notre réel plaisir.
Ambiance comme surréaliste parfois où surnage l’écume des jours, sur fond de toile trash d’un exotisme en décadence traversé de soleils acides & par certaines des plus belles femmes du monde…
Murielle Compère-Demarcy
* cf. Les Dessous chics, chroniques 2005-2010 éditions de La Thébaïde, automne 2014, de Philippe Lacoche, 350 pages
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