Purity, Jonathan Franzen
Purity, mai 2016, trad. l’anglais (USA) Olivier Deparis, 750 page, 24,50 €
Ecrivain(s): Jonathan Franzen Edition: L'Olivier (Seuil)
Les romanciers anglo-saxons ont, par tradition, le sens du récit et de la narration, voilà une assertion que le nouveau roman de Jonathan Franzen ne dément certes pas. Dans cet ouvrage, chacun des personnages se fraye une voie difficile vers le succès, l’amour, la justice, le bonheur et toute forme d’épanouissement qui lui semble accessible et acceptable. Ce cheminement est aussi géographique : nous sommes transportés de la Silicon Valley à Manhattan, en passant par le Berlin-est de la Stasi, un journal d’investigation de la ville de Denver et une ONG, le Sunlight Project, fondée en Bolivie par le célèbre hacker et lanceur d’alerte Wolf.
Les trajectoires des trois personnages principaux, Purity ou Pip Tyler, Andreas Wolf et Tom Aberant, connaissent des similitudes troublantes : dans leur jeunesse, Andreas et Tom tissent une passion amoureuse avec deux femmes aux prénoms parallèles, Annagret et Anabel, dont les déséquilibres s’accordent un temps à ceux de leurs amants ; les mères de Pip et d’Andreas sont un fardeau pour l’un comme pour l’autre, bien que ces relations névrotiques et conflictuelles ne soient pas de même nature. Ainsi, les rapports de Pip avec sa mère sont « totalement pervertis par l’aléa moral, une expression utile apprise en cours d’économie à l’université. Elle était comme une banque trop essentielle à l’économie de sa mère pour faire faillite, une employée qui peut tout se permettre parce qu’elle se sait indispensable ».
De son côté, Andreas souffre violemment d’une attirance effrénée pour une femme qui est incapable de l’aimer d’un amour maternel, au point qu’« Il se demanda s’il n’allait pas devoir l’étrangler pour l’empêcher d’émettre cette prétention toxique, pour se sauver lui-même ».
La culpabilité et le sexe jalonnent la route de Pip-aux-grandes-espérances et sa quête de droiture, d’honnêteté, de vertu dans un monde qui lui échappe et où elle tente de trouver sa place. La recherche de vérité des personnages de Franzen, qu’elle soit morale, politique ou idéologique, se double du mensonge et de la culpabilité dont les journalistes d’investigation et les lanceurs d’alerte ne sont pas exempts. Ce qui caractérise le mieux ces personnages, c’est le terme « idéaliste », quand leurs vies professionnelles et personnelles s’entremêlent. Une multitude de personnages secondaires, compagnes ou compagnons successifs des héros, journalistes ou activistes de tous bords, sont l’occasion pour Franzen de s’exprimer sur des sujets d’importance, comme l’écriture de fiction ou l’union maritale. Ainsi, l’écrivain Charles souffre du syndrome de la création du « grand livre » : « Jadis, il avait suffi d’écrire Le Bruit et la Fureur ou Le soleil se lève aussi. Mais à présent la taille était essentielle. L’épaisseur, la longueur ». A propos du mariage ou de l’union libre, Leila, coincée entre deux hommes, pense que « Cela lui rappelait une distinction apprise, enfant, au catéchisme. Leurs deux mariages relevaient de l’Ancien Testament, le sien consistant à honorer son engagement envers Charles, celui de Tom à redouter la colère et le jugement d’Anabel. Dans le Nouveau Testament, seuls comptaient l’amour et le libre arbitre ». Et plus loin, « Le problème d’une vie librement choisie chaque jour, une vie de Nouveau Testament, c’était qu’elle pouvait se terminer à tout moment ».
Ce gros roman d’apprentissage, qui se fait tantôt thriller ou roman d’espionnage, tantôt roman sentimental, dénoue peu à peu l’écheveau des destins croisés de deux générations d’Américains issus, pour certains, de l’immigration, en s’intéressant de près à la technologie numérique et aux réseaux d’information, et en explorant les arcanes de la nécessaire visibilité qui en découle : « On devrait prévenir tous ceux qui briguent la célébrité : vous ne vous fierez jamais plus à personne ».
Sylvie Ferrando
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