Presque une nuit d’été, Thi Thu (2ème critique)
Presque une nuit d’été, août 2018, 180 pages, 18,50 €
Ecrivain(s): Thi Thu Edition: Rivages
Sous une chaleur étouffante, à peine dissipée par quelques averses diluviennes, une photographe sillonne la ville afin de fixer l’instant et d’en capter l’humanité. A partir de cette quête esthétique, éminemment sensuelle, les récits se succèdent et s’enchevêtrent au gré des impressions personnelles de l’artiste. Chaque nouvelle rencontre fait naître un univers énigmatique et poétique, qui se dévoile, se dessine, se cristallise, et soudain s’évapore pour basculer dans le rêve, le mythe, le conte, la mémoire fragmentaire ou évanescente. Les dialogues intimistes entre la narratrice et chacun des personnages confortent la réalité de l’instant sans altérer l’incertitude et la fragilité des souvenirs évoqués. Nous croisons ainsi les chemins tourmentés de la belle et charnelle Ibtissem, de Loan, le tatoueur, de l’impénétrable Joh, et de l’attendrissante vieille dame au châle noir qui, au seuil du royaume des morts, ranime la légende de Tsukuyomi, dont le destin tragique reflète étrangement celui du pauvre Yuru. Les repères spatio-temporels s’abolissent au profit d’un « roman-monde », dans lequel la modernité épouse naturellement la tradition, les conditions atmosphériques nivèlent et tempèrent les humeurs, et la violence se dissout dans la poésie.
La marginalité des personnages crée en effet la norme d’un monde apaisé qui, sans minimiser la souffrance, l’accueille comme la rançon inéluctable de la quiétude et la sérénité. En cela, la structure en boucle du roman est significative, puisqu’elle convoque le vent, de l’incipit à l’excipit, comme élément naturel et symbolique dont la puissance est avant tout force de consolation :
« Ça souffle fort. Pourtant, ça ne fait pas mal. C’est plutôt la caresse frivole de doigts calleux mais délicats. Tout est dans la manière, il paraît, et la sérénité est là, au milieu des clameurs d’enfants, des pages d’un livre qu’on tourne à un rythme régulier, là, dans la lourdeur même des rayons du soleil qui agressent l’épiderme et brûlent la chevelure, et ce n’est pas grave, non, ce n’est pas grave, car le vent sait apporter son réconfort ».
« Ça souffle fort. Pourtant, ça ne fait pas mal. C’est plutôt le contact rassurant d’une main ferme mais familière […], mais ce n’est pas grave, non, ce n’est pas grave, car le vent sait apporter son réconfort ».
Bien qu’il s’agisse d’un roman français, les influences asiatiques sont clairement identifiables, donnant à cette narration très contemporaine la volupté subtile et enivrante d’un Orient ancestral, intemporel.
Christelle d’Hérart-Brocard
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