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Pourquoi les islamistes sont-ils angoissés par la femme ?, par Kamel Daoud

Ecrit par Kamel Daoud le 29.05.15 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Pourquoi les islamistes sont-ils angoissés par la femme ?, par Kamel Daoud

 

Se lever le matin, puis lire une information brève dans un journal arabophone de Londres : le savant théologien saoudien, le cheikh Abd Errahman Ben Nasser El Barek, a annoncé que le droit de conduire pour les femmes « va ouvrir les portes de l’enfer pour le Royaume » qui lui donne son salaire. Que cela va conduire à la corruption, le mal, les maux et le désastre.

Puis relire et réfléchir sur la question de fond : pourquoi les islamistes sont aussi angoissés par les femmes ? D’où vient cette obsession ? On peut creuser et dire que le rapport trouble avec les femmes est un produit dérivé des monothéismes en général : religions puritaines, nées dans les déserts désincarnés, à l’époque des rapts et des viols qui imposent de cacher les femmes et les voiler ou les enterrer. On peut aussi dire que c’est une idée qui persiste depuis la préhistoire : la femme n’est pas une force de guerre pour le clan et la horde, elle ne peut servir de soldat et donc elle est un poids mort, un poids ou une mort. Même avec l’avènement des monothéismes, l’idée est restée et revient dans la tête quand la préhistoire revient dans l’histoire. Les islamistes d’aujourd’hui ne font que se souvenir d’une histoire ancienne. A l’époque où se faire voler ses femmes était la preuve de sa faiblesse et donc la femme était la faiblesse de la horde et du nomade.

On peut aussi creuser et parler de troubles : l’Islamiste n’aime pas la vie. Pour lui, il s’agit d’une perte de temps avant l’éternité, d’une tentation, d’une fécondation inutile, d’un éloignement de Dieu et du Ciel et d’un retard sur le Rendez-vous de l’éternité. La Vie est le produit d’une désobéissance et cette désobéissance est le produit d’une femme. L’islamiste en veut à celle qui donne la vie, perpétue l’épreuve et qui l’a éloigné du paradis par un murmure malsain et qui incarne la distance entre lui et Dieu. La femme étant donneuse de vie et la vie étant perte de temps, la femme devient la perte de l’âme.

L’islamiste est tout aussi angoissé par la femme parce qu’elle lui rappelle son corps à elle et son corps à lui. L’islamiste aime oublier son corps, le laver jusqu’à le dissoudre, le rejeter et en soupirer comme on soupire sous un gros cabas, l’ignorer ou le mépriser. En théorie seulement. Cela crée justement un effet de retour violent de l’instinct et la femme devient coupable non seulement d’avoir un corps mais d’obliger l’islamiste à en avoir et à s’y soumettre ou à composer avec la pesanteur et le désir. L’islamiste en veut à la femme parce qu’elle est nécessaire alors que lui déclare qu’elle est accessoire.

L’islamiste se sent mal dans son corps et la femme le lui rappelle. Il a un rapport trouble avec le vivant et la femme qui donne la vie lui rappelle que lui l’islamiste donne la mort. L’islamiste veut voiler la femme pour l’oublier, la nier, la désincarner, l’enjamber. Et cela le piège car il trébuche et retombe sur terre et en veut à la femme pour cette impossibilité d’enjamber la vie pour étreindre le ciel. Elle est donc son ennemie et pour pouvoir la tuer, il la déclare ennemie de Dieu.

L’islamiste est angoissé par la femme parce qu’il est aussi angoissé par la différence : lui, il rêve d’un monde uniforme, unanime ; elle, elle incarne l’altérité nette et irréductible, la liberté de n’être pas un homme et la faculté de diversifier le monde.

En dernier ? La femme rappelle à l’islamiste sa profonde et plus forte faiblesse : le désir. Le désir de vivre, toucher, s’éterniser dans la vie. Le désir qu’il ne peut ignorer, qu’il veut ignorer et qu’il ne peut vaincre en lui-même sans tuer la femme en face de lui. Solution meurtrière à l’ancien verdict : Adam est « tombé » du paradis à cause de la femme qui lui a offert un fruit, dit le mythe. Selon l’islamiste, pour rejoindre à nouveau le paradis, il suffit de tuer/voiler/ignorer/chasser/lapider la femme, ce qui tuera le fruit. D’où ces obsessions surréalistes des islamistes sur la question de la femme, leurs maladies et leur guerres et leurs fatwas. Conduire pour une femme devient alors dans leurs mondes malades l’annonce des cataclysmes, des séismes et des mauvaises récoltes. Et cette idée est inculquée même aux femmes islamistes, les pires ennemies de la femme, justement.

Tuer la femme est donc hâter la fin du monde, la fin de l’épreuve, la rencontre avec Dieu, l’éternité sans tarifs et le confort éternel.

La femme nue est l’islamiste dévoilé.

Le corps de la femme est la faiblesse qu’il veut effacer.

La femme n’est pas la moitié de l’islamiste mais la totalité de ses problèmes.

 

Kamel Daoud

 


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A propos du rédacteur

Kamel Daoud

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Kamel Daoud, né le 17 juin 1970 à Mostaganem, est un écrivain et journaliste algérien d'expression française.

Il est le fils d'un gendarme, seul enfant ayant fait des études.

En 1994, il entre au Quotidien d'Oran. Il y publie sa première chronique trois ans plus tard, titrée Raina raikoum (« Notre opinion, votre opinion »). Il est pendant huit ans le rédacteur en chef du journal. D'après lui, il a obtenu, au sein de ce journal « conservateur » une liberté d'être « caustique », notamment envers Abdelaziz Bouteflika même si parfois, en raison de l'autocensure, il doit publier ses articles sur Facebook.

Il est aussi éditorialiste au journal électronique Algérie-focus.

Le 12 février 2011, dans une manifestation dans le cadre du printemps arabe, il est brièvement arrêté.

Ses articles sont également publiés dans Slate Afrique.

Le 14 novembre 2011, Kamel Daoud est nommé pour le Prix Wepler-Fondation La Poste, qui échoie finalement à Éric Laurrent.

En octobre 2013 sort son roman Meursault, contre-enquête, qui s'inspire de celui d'Albert Camus L'Étranger : le narrateur est en effet le frère de « l'Arabe » tué par Meursault. Le livre a manqué de peu le prix Goncourt 2014.

Kamel Daoud remporte le Prix Goncourt du premier roman en 2015