Possédées, Frédéric Gros
Possédées, août 2016, 297 pages, 19,50 €
Ecrivain(s): Frédéric Gros Edition: Albin Michel
En 1632, à Loudun, un événement survient qui va cristalliser les peurs, les angoisses du moment, alors que Catholiques et Protestants se disputent âprement la direction des esprits, un événement autrement important que ce que nous nommerions aujourd’hui un fait divers ou une escroquerie. Parce qu’il s’agit bien de cela, une escroquerie permettant la diversion par des politiques, nous parlons ici des hommes qui n’ont de cesse de briguer un pouvoir en utilisant tous les moyens. Et une manœuvre de diversion visant à scléroser les populations en abusant de leur crédulité.
Loudun donc, le couvent des Ursulines. La mère supérieure, mère Jeanne des Anges, est saisie de convulsions. Et les explications qu’elle donne sont édifiantes et destinées à percuter les esprits :
« Il devait être trois heures cette nuit. Je crois que le bruit de la porte me réveilla. Son grincement exactement. Même doux, même faible, son grincement. J’ai ouvert les yeux dans le noir, le croirez-vous j’entendais les pas sur le parquet. Et j’étais paralysée, totalement inerte, incapable d’atteindre ma bougie. Et le corps dans le noir, je le sentais se déplacer, j’entendais respirer près de moi et peut-être aussi un faible rougeoiement je crois qui dessinait la silhouette. Sœur Claire oui, c’était un homme d’Eglise, en soutane, le même. Mais j’ai vu son visage, je l’ai reconnu ».
Mère Jeanne des Anges dit avoir reconnu cet individu qui se rend dans sa cellule la nuit en traversant murs et portes par quelque sortilège, mu par le démon à n’en pas douter, et qui s’introduit dans son corps pour la posséder. Les convulsions sont celles du désir provoqué par le démon, les propos tenus sont ceux inavouables que la possession inspire, des propos relatifs au sexe qui prouvent l’emprise du démon. La mère supérieure est à nouveau prise de convulsions alors même qu’elle relate les moments terribles qu’elle dit avoir vécus la nuit précédente. Le prélat, présent pour recueillir son témoignage, et les religieuses qui l’entourent, assistent à ces convulsions, tous prient bien sûr pour le salut de Jeanne des Anges.
Le démon qui prend ainsi possession du corps de la mère supérieure est désigné : il s’agit du curé de Loudun, prêtre adoré par certains et surtout certaines, et haï par beaucoup d’autres, Urbain Grandier, bel homme que les femmes adulent et qui le leur rend bien. Il y a chez lui tous les ingrédients de beauté, de bonté, d’élégance, de culture, pour rendre jaloux certains et inquiéter les autres quant à leur pouvoir.
Au couvent les événements s’emballent, toutes les religieuses sont prises à leur tour, et l’Eglise déclare possédées ces nonnes qui ont toutes reconnu Urbain Grandier, leur maître des nuits, le démon qui les possède, elles, des religieuses sans défense.
Et les fanatismes vont se déchaîner, on va désigner Urbain Grandier possédé du démon, agissant pour la Réforme, tous les maux de la terre seront les siens et un procès aura lieu…
Frédéric Gros nous embarque ici dans une constante humaine, qui prend des formes différentes selon les époques, mais qui tend à manipuler les masses : le pouvoir et la volonté de le garder, quitte à employer les plus vils moyens, les plus bas arguments. Il est vrai que ce qui eut lieu à Loudun au 17è siècle a des résonnances actuelles, tant les moyens de « divertir » les masses sont importants et efficaces. Si « Dieu est mort », d’autres voix perverses qui ont le don d’ubiquité se font entendre…
Guy Donikian
- Vu : 2943