PoéVie Blues, Richard Taillefer
PoéVie Blues, éd. PREM’édit, août 2015, 106 pages, 13 €
Ecrivain(s): Richard Taillefer
Dans les PoéVie Blues de Richard Taillefer, tombent des miettes de désillusion au Café de la mélancolie.
Sur le rebord de la fenêtre
Quelques piafs en repérage
De mes dernières miettes de désillusion
On va ici prendre un verre, comme un certain Richard, et l’on se dit qu’il se fait tard, et que les gens, il ne conviendrait de les connaître que disponibles, à certaines heures pâles de la nuit… (Richard, Léo Ferré). Pas de jugement, pas de nostalgie négative dans le blues de cette PoéVie prise sur le vif dans la trame du quotidien, au pied levé de chaque aube qui se lève et qui éclaire le chemin d’une nouvelle route, dans Ce va et vient insoluble. Cette mâchoire qui claque, comme le jeu endiablé d’un mâle andalou, dans son tant tin tian de castagnettes.
Le poète roule la PoéVie, calé en mode évasion dans la trame d’un train sans enfer, plutôt de lumière, même si l’enfer est de ce monde, tiré au dam des hue et à dia veillant en chacun de nous par les exploiteurs de la misère. Pas un seul geste pour appuyer sur la gâchette. Ni de dieu pour comparaître à la table des misères. Trop d’orgueil en toi, pour y conjurer le moindre soupçon d’un doute. Tu t’en retourneras, dès l’aube, aux premières lueurs. Qui est cette autre voix qui dialogue avec le poète dans ce PoéVie Blues, insérant ses répliques sur le rail, les chemins de fer en italiques, de la page ? Tirant des aphorismes d’éclatante vérité.
Le poète marche seul, dans sa montagne, dans ce rien de vivant où nous demeurons provisoirement, au mitan des jours et de la nuit ; au milieu des fleurs. Regardant bien autour de lui : voyant loin.Fais(ant) la nique aux tyrans d’arc en ciel. Respirant, écoutant la vie, avec son chien, sa pipe de Cogolin, guettant le moindre bruit du vent. Seul mais au milieu du monde qui l’interpelle, lui donne l’élan-locomotive. Car, en fait, la grandeur est dans ce qui existe entièrement hors de nous. Exit le désespoir, exit l’indifférence, dans la tendresse d’une pénombre à l’oreille encore aux aguets d’un monde qui, jamais ne sortira indemne de ses lâchetés, de ses bassesses, jamais ne ressortira aguerri de ses stratagèmes et sacrilèges mais, que le poète observe, avec un peu de vin, un peu de rêve, le regard complice, au pied du grand sablier du temps, sous un ciel de traîne encore prêt de s’éveiller. Mais comment résister, se révolter, ébranler faire avancer la Tonne d’Existence comme un cheminot ébranlerait la Cent Tonnes célébrée par le poète Cendrars, quand l’accalmie de l’indifférence vient après l’orage, quand on ne vous demande rien / – écrit le poète avec la force de l’humour cynique –Qu’un peu d’indifférence ?
Pour combattre cette déficience d’humanité, le poète écrit. Ne désirant pas grand-chose, sinon l’impossible. Dans une sorte de renoncement pas tout à fait résigné qui le tient encore dans l’attirance de la rencontre et de la lumière encore possible. Richard Taillefer est un poète de l’espoir, cet entre-deux situé dans le raccord du renoncement et d’une attente d’un avenir meilleur. On a toujours mal d’autre chose, comme ces papillons de nuit égarés en pleine lumière. Inquiétude si paisible du renoncement d’être pour celui qui ne sait pas hausser la tête. Le poète Taillefer attend un monde meilleur semé / planté dans un jardin traversé d’hommes entonnant un chant d’apothéose. Non paschant d’apothéose d’une névrose collective, mais un chant d’apothéose distillé par le chœur parfumé, accordé, des roses.
Le poète écrit. Ces Poévie-blues comme une blessure oubliée entre les pages. Comme une plage escomptée où roulent et dérivent des galets du temps étoilés, où les mots bougent la marge émergée/immergée de la laisse, où les vagues en lames et ressacs gueulent leurs chiens de mer et leurs goémons de révolte, accrochés sur les esquifs visuels, réels mais frêles, des dunes aux oyats invasifs mais aux rêves d’oasis abandonnés aux vents de la solitude. Écrire / C’est un coup de poing / qui cogne à la mâchoire des morts-vivants /Un soleil qui gicle de partout.
Le poète écrit et crie ces PoéVie-blues dans les lames et les ressacs de la révolte marqués par les stigmates de la vie ordinaire. Car le poète gueule aussi, dans ce silence de douleur qui émerge des mots, ses souffrances, ces déraillements du quotidien quand tombent des caténaires de l’orage sur nos chemins précaires ou s’écartent de la voie des éclisses de maintien d’un voyage qui se voudrait pourtant solaire. Le poète gueule sa douleur, impuissante, lui qui porte à corps et à cri, à perte de nuit et d’horizon, à son corps défendant, la douleur d’un être aimé, d’un être proche, d’un être cher (…) J’ai la peur au ventre. J’ai mal de son mal être. On emporte tous ses remords avec soi. J’aurais dû, je n’ai pas pu… Combien de tonnes d’amour à revendre jamais données. Ensemble, on rêvait, vers des îles bien fraîches. / souffrir n’est pas manquer d’encre (p.17). Il faut lire ces passages, empli d’amour et ne manquant pas d’encre.
Le poète écrit ces PoéVie-Blues comme une blessure oubliée entre les pages.
Et écrivant, nous booste la machine-corps et de l’esprit, plein feu brûlant la détresse et d’appels de signes aux lèvres, pour tenter d’adoucir par le feu inoffensif et réchauffant des mots, les brûlures vives. Ainsi ces textes de Nous sommes tous des sentinelles fautives dont il faudrait diffuser le beau titre pour le marteler dans l’air et la pierre, la terre et sur les édifices les stations de notre voyage journalier.Nous sommes tous des sentinelles fautives… fautives de ne rien vouloir faire, de/contre ce quotidien à bout de souffle. De ne rien vouloir voir de ces vies défaites au pied de chez soi, de ces sans-abris de la misère laissés-pour-compte et, pour Qui ? Et, pour quoi ?
À André
1
Pour seules richesses
Un banc de fortune
Sous le feu des regards indignés
Quelques gestes sans parole
Jetés aux fausses promesses des anges gardiens
Réfugiés dans leurs hautes tours factices
En déshérence de tout
Anonymes de leur propre identité
Ils ne font que passer
Ils sont comme ces ombres suspendues à rien
2
À cet instant
Je pense à toi André
Retrouvé mort
À quelques pas de la place Saint Sulpice
Là où la poésie fait son marché
Gisant dans le recoin d’une cage d’escalier
Le poète Richard Taillefer roule aussi la PoéVie, en conduisant la locomotive des mots pour montrer / dénoncer ce train de l’enfer, celui de la Misère encore en bas de chez soi au XXIème siècle, avec le ciel pour seule couverture.
Le poète écrit par le train-tram-rails déroulé d’un PoéVie Blues qui, pour le coup, nous remet sur le rail. De la vie. De la poésie. De la PoéVie.
Une échappée à la fin du livre – vers le ciel ouvert de Montmeyan, commune du Haut-Var que le poète s’inquiète de voir être mangée par les grandes surfaces, de voir les derniers petits commerces happésdans le labyrinthe des rayons aux mille étiquettes – ouvre l’espace. Montmeyan, où le poète organise l’été son Festival de Montmeyan-en-PoéVie. Où s’ouvre l’espace de l’espoir, malgré l’inquiétude injectée par la conjoncture économique et les réalités socio-politiques. Où Richard Taillefer ouvre l’espace de l’espoir, par la virtuosité de ses mots, en nous invitant à cet heureux voyage dans le lointain que l’on ressent / que l’on rêve si proche lorsque l’on se laisse emporter par un Poévie Blues extra et qui nous fait du bien. Ce livre sera un excellent compagnon de voyages.
Murielle Compère-Demarcy
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