Poésie du heurt - à propos de Connaissance par les larmes, Michèle Finck, par Didier Ayres
Connaissance par les larmes, Michèle Finck, Arfuyen, septembre 2017, 208 pages, 17 €
Pour expliquer en quoi le dernier livre de Michèle Finck présente de l’intérêt, il faut que j’en passe un peu par ma biographie, car cette lecture s’est faite sous l’empire du heurt avec le temps – des fractions de temps volées aux réalités contingentes – et avec la psychologie – ayant un rapport ancien aux larmes qui me rend proche de cette littérature de la douleur et de la mort. D’ailleurs, le titre de l’ouvrage, Connaissance par les larmes, rappelle immanquablement la Connaissance par les gouffres de Henri Michaux, lequel a traversé le langage poétique grâce à la violence de drogues hallucinogènes afin d’explorer les possibles de l’esprit humain. Ici se sont les larmes qui sont un opium. Elles guident la poétesse dans des tourments spirituels, largement engagés dans la connaissance de dieu. Du dieu chrétien des larmes johanniques notamment. Et particulièrement autour des versets qui narrent la blessure au côté droit d’où s’échappent du sang et de l’eau. Eau, larmes, neiges, rivières et pluies : toutes ces eaux sont spirituelles.
Connaître par les larmes revient à connaître la rugosité de l’existence de l’homme, qui peut avoir recours aux larmes justement pour lutter contre l’âpreté de sa condition. Elles sont une sorte d’opium entêtant et brusque qui rayonne dans les sept recueils qui forment le livre. Sans oublier l’axe primordial du dieu qui souffre, notamment dans l’imaginaire des peintres (de l’école du nord) ou pour la modernité, au travers des représentations de personnes en larmes chez Van Gogh ou Picasso. Ce chapitre central fait le milieu du livre, accompagné au début par trois chapitres – consacrés en particulier à la Méditerranée, ou à la musique –, puis par trois autres – consacrés en partie au cinéma et à l’imaginaire de la neige. On dérive d’ailleurs avec intelligence à la fois dans les œuvres auxquelles s’intéresse la poétesse, mais aussi dans sa vie personnelle (sans doute la mort du père, ou encore la folie et la mort d’un homme aimé, vraisemblablement un peintre), tout devient sujet pour éclairer ce monde obscur des sanglots et des pleurs.
Mais on le sent encore plus à la tombée du soir, quand on est au bord de l’eau et des ténèbres de l’être, presque dans le noir, et que l’âme saute à cloche-pied dans le blanc de l’écume pour s’y laver. Alors on entend la sonorité de la mer en son tréfonds.
ou
Et songes nos larmes de communion avec le cosmos, qui coulent, transparentes, sur nos visages parfumés d’iode talismanique.
Donc, biographie, spiritualité, langage. Et cela avec la difficulté inhérente à la fabrication d’un poème lequel résiste souvent à la narration, à la description fidèle à quoi est inféodé le roman par exemple, à décrire simplement le réel en l’évoquant de façon oblique et poétique.
Je disais que pour commencer cette lecture j’avais été le jeu de heurts, et je crois que cette sensation est justifiée. Car dans le corps du texte, au sein même des vers, il y a des décrochages graphiques qui ressemblent fort à cette respiration saccadée des sanglots que nous connaissons tous. Lecture saccadée, prise dans des spasmes, lecture de la blessure et de la douleur, qui partent de la poitrine pour rayonner vers l’esprit, après une halte au milieu de la blessure centrale du Christ de Jean, le plus mystique.
Ces heurts graphiques et corporels, la symbolique de la blessure, l’interrogation émouvante sur la mort ou la folie, et le recours comme instance de paix et de douceur aux œuvres d’art, justement témoins de la douleur d’exister, sont les principaux critères qui permettent d’aborder cette poésie, comme en une sorte d’imprécation sacrée et violente. Et toujours, nous sommes guidés par le fil de ce que représentent l’œuvre ou les informations sur la vie de Michèle Finck. Finissons avec les mots de la poétesse, qui donnent un aperçu succinct des originalités graphiques et de la force d’évocation de l’eau, eau baptismale, eau lustrale, ici neige et brûlure.
Musique tient dans ses mains les rayons
Du soleil. Sans s’y brûler. Poésie
S’y brûle toute entière. Os par os.
Mais de cette brûlure elle fait de la neige.
Pour tous
Didier Ayres
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