Poèmes, Natsume Sôseki
Poèmes, éd. Le Bruit du Temps, 2016, trad. chinois Alain-Louis Colas, 400 pages, 28 €
Ecrivain(s): Natsume Sôseki
Sôseki, plus connu sans doute comme romancier (Je suis un chat ; La Porte ; etc.), se voit ici pour la première fois publié en français pour ses 207 poèmes, écrits sur une longue période, de l’adolescence à sa mort en 1916, à 49 ans.
L’édition trilingue, copieuse en poèmes, copieuse en commentaires (sous la plume de A. L. Colas), en chinois classique, japonais, français, révèle un talent sûr, qui maîtrise les formes brèves (quatrains, huitains, entre autres, parmi les plus nombreux) et donne à ce lent cheminement aux abords du monde, de la nature, à la quête du soi, une allure de journal, proche de celui d’un Bashô, par exemple.
Notations pures, effets de saisons, sensations d’être traversent ces textes empreints autant de justesse que de constats paysagers et intimes.
La plume de Sôseki accroche à l’économie des moyens les ressources d’une vraie vision de la nature parcourue, ou celles d’une exploration des œuvres de ses proches (hommages, dédicaces). De 1883 à 1916 (et encore quelques jours avant sa mort), l’auteur a décliné sa vie sous forme de poèmes, privilégiant la vision descriptive, l’instant fugace, l’éclair de lumière, le détail d’une hutte, l’impression « d’automne », l’errance porteuse et féconde entre quêtes, découvertes et examens de soi :
113
Sans titre
Novembre 1912
La nuit qui, delà le vantail, s’approfondit ;
Je prends congé du moine et quitte les bambous.
La flottante nue, derrière moi, disparaît,
Et c’est la lune splendide au milieu du ciel.
190
Sans titre
15 octobre 1916
Ma face me serait inconnue sans l’aide du miroir.
Mon esprit reste invisible, dont je déplore les manques.
L’errant des « monts et forêts » aura passé toute sa brève existence à consigner les progrès de son pas, ceux de son mental souvent harcelé par le mal être ou la maladie.
La force morale (le poète fut influencé par le taoïsme, le bouddhisme) des textes et les blasons que les poèmes soumettent au lecteur s’insinuent durablement, à l’aune des chutes de certains :
53
Sans titre
Mai 1895
Pauvre esprit que j’essaie de tromper en vidant une coupe !
Énergie du sabreur, ce givre éclairant mon air d’ivresse.
On l’aura compris, une très belle surprise.
Philippe Leuckx
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