Poèmes du vide, Daniel Ziv (par Murielle Compère-Demarcy)
Poèmes du vide, Daniel Ziv, 2017-2020, Préface Jean-Claude Pecker, ill. Jacques Cauda, 103 pages, 12 €
Edition: Z4 éditions
Les Poèmes du vide de l’éditeur-poète Daniel Ziv nous rappellent que le présent est toujours là, à portée de regard, vivace loin de nos palabres irréalistes, du « passé / tissé d’araignées, d’illusions, / d’éphémère » palpable dans la pulpe et la rondeur des jours qu’il nous suffit d’habiter pleinement, possible dans la spontanéité créative plus tangible que la tangente prise par la temporisation de nos exploits à venir qui ne viendront tout compte fait jamais. « Vous êtes nombreux / à fonder vos espoirs : dans la fonderie du hasard », écrit le poète, ou encore : « La carte du ciel se moque bien de vos / espoirs ». Le couperet de ses mots ne joue pas la carte du tendre. Non pas qu’il se fasse ici le chantre du désespoir, mais le poète citoyen d’un monde se révèle plutôt le transmetteur d’une clairvoyance salutaire et roborative capable de rire sainement de nos excès stériles. Et même si « les rires sont aliénés » celui des rescapés plus ou moins revenus des sales coups de l’Histoire reste celui, triomphant, des inconsolés étoilés.
Les poèmes de Daniel Ziv jettent sur le vide de l’existence un coup de projecteur justifié par l’expérience d’un homme qui a eu le temps de traverser, de scruter et de sortir indemne de faisceaux noirs de l’Histoire qui ne firent pas toujours / qui ne font toujours pas la grandeur des Hommes (cf. les horreurs orchestrées par les régimes totalitaires qui fomentèrent l’impensable et l’imprescriptible : horreurs nazies, staliniennes (cf. l’arrestation montée de toute pièce de « X-27 appréhendée par les agents du / KGB / dans la volga-vodka ferrailleuse / avant l’interrogatoire ») ; l’increvabilité des dictateurs :
« Dans le palace glacé
un président vêtu de noir
joue à la guerre
au milieu des conserves.
C’est un vieux monsieur
(…)
Au fond des coffres forts
il garde prisonniers
des bijoux en or et des enfants
égorgés,
des opposants torturés
(…) »
Les paumés de la vie ne sont pas non plus oubliés par le stylographe tranchant et caustique du poète (« Terra » la belle droguée, les « clochards (qui) fouillent les poubelles », les boulimiques crevant gros vivants de leur insatiété, … Ziv n’y va pas par quatre chemins, puisque tous les chemins mènent à l’Humanité ; Ziv n’écrit pas de main morte.
Si la dérision l’emporte parfois sur le désespoir, si nous vivons dans une quatrième dimension où le vrai est faux, le faux parfois vrai (cf. Ce n’est rien, Daniel Ziv, Z4 Editions, 2019), Ziv nous murmure sous le texte de ses Poèmes du vide que, ceci dit et malgré l’absurdité sérieuse du Vivre, il fut un temps où exister et écrire avaient une fin. L’Histoire a détraqué les horloges biologiques du Vivre, l’horloge interne de nos rêves les plus souhaitables, pour nous voir « (…) souffler la poussière / du monde / (qui) revient » mais en particules fines déposées sur l’ombre de nous-mêmes artificielle ou virtuelle. Le poète, lui, y revient « comme un train qui déraille », ne perdant pas de vue que sa destination rêvée roulerait vers les étoiles.
Le poète en ses Poèmes du vide est d’autant plus désespéré qu’il n’a de cesse de miser sur un espoir tangible à la hauteur de l’amour, de la constellation des amitiés (cf. André Verdet, à qui la seconde partie des textes est dédiée, Prévert, Arrabal, Fanon, …) :
« Il y a dans la nuit
des gens tristes
qui ne parlent plus
et qu’on suit.
Mais il y a demain
et toujours des amis venus de nulle part
qui :
qui se relèvent de leurs nuits blanches
toujours d’autres amis
qui dans le vide se déplacent »
Le poète – également peintre et astrophysicien – Jean-Claude Pecker ne manque pas de souligner ce clair-obscur dans la tonalité de l’opus, via les mots éclairants de sa Préface : « Certes, il y a la nuit des angoisses, la nuit des interrogations, mais il y a aussi demain et toujours des amis venus de loin… ».
Et si le désespoir couvre parfois son visage du loup de la folie, c’est pour se donner la dernière chance de recouvrer ses esprits par la camisole de force d’une raison qui l’arraisonne pour qu’il ne sombre ni périsse en la demeure : « souviens-toi de cet endroit / que nous n’avons jamais vu » peut se lire sur le versant à double-tranchant d’une mémoire qui veut oublier pour se survivre, ne pas oublier pour ne pas se taire et se laisser aller au risque de voir ressurgir l’inconcevable, l’inimaginable.
Écrits depuis plus de 45 ans, ces Poèmes du vide, Daniel Ziv ne cesse de les retoucher comme une pierre brute que l’on ne cesse de polir. Le poète n’en augmente pas les textes, il les modifie, les peaufine. Comme la vie transforme ses premières vignes et vendanges en crus du meilleur millésime…
Murielle Compère-Demarcy
Daniel Ziv, éditeur-poète.
- Vu : 2125