Plateau virtuel club # 3, par Marie du Crest
L’émission de janvier donc. Une heure polyphonique : entendre tant de voix humaines, celles des textes de Patrick Kermann et celles des voix radiophoniques. L’auteur n’est pas là, comme il est de rigueur, dans la série d’émissions du Plateau virtuel club sur radio Clapas. Son absence comme une singulière présence. Il fait au contraire, par le miracle de la lecture, entendre les paroles qui nous traversent tous. De l’amour et de la Mort. Patrick Kermann est mort en 2000, et sa pièce Vertiges inédite jusqu’alors a été publiée par les éditions Espaces 34 en 2017. Sabine Chevallier présente d’ailleurs son entreprise éditoriale de l’œuvre de l’auteur dont certains textes restaient introuvables.
Marie Reverdy retrace l’itinéraire fulgurant de Patrick Kermann dont l’œuvre « post Shoah » interroge la mort du théâtre (psychologique) après cette Catastrophe et donne la parole aux Morts. Cette parole qui ne peut plus être que ressassement, fragments, glissant vers le poétique, le musical pour résonner encore.
David Léon travaille ici avec les étudiants de l’Ensad, Louise Arcangioli, Ivan Grevesse, Léopold Pélagie, Maja Nousianen et Anaïs Gournay, sur des passages du texte, peut-être les plus beaux.
Au commencement il y a la joie de la parole (Je parle, solo parlé chanté, p.11), fragment sans ponctuation disant l’élan de la parole qui se prend et se reprend. David Léon en lecteur attentif, et trois étudiantes, font entendre cet émerveillement, cette vitalité qui fait pause et repart avec sa voix particulière : le solo est joué en trio. Il faut toucher à cet échange de dire toujours à quelqu’un d’autre. On pourrait imaginer d’autres voix encore plus nombreuses, selon David Léon. Le texte par morceau et ensuite dans son intégralité de jeu retentit. Chez Kermann, il est question de la langue et même de formes scripturales si particulières dans l’espace de la page et de son rythme.
Le texte à nouveau se fait entendre, mais cette fois-ci dans son épaisseur masculine (« Je dis stop », p.59).
David Léon lit, dit à son tour le beau quatuor, devenu ainsi solo de cette voix universelle du « ma, ta, sa », du « je, il, elle », manière d’échos des quintils et de l’ultime tercet. Il faut prendre son temps, accrocher la force des vers.
Deux comédiennes ainsi qu’un comédien, à la belle voix de basse (à l’opéra, cette tessiture fait comique) nous ramènent à la légèreté de l’amour avec Histoire d’amour 1 (p.14). Elles profèrent l’amour presque fusionnel tandis que le numéro 3 (ainsi désigné par l’auteur) cherche à se manifester avec humour ; « vous vous » comme le montre sa pirouette finale :
allez allez à vous vous
moi je pfuit.
Nous nous promenons ainsi dans l’œuvre et ses fragments, sans l’ordre du volume, avec comme principe le fil de la beauté poétique : voici alors (p.47-8) Le charnier de mes rêves, solo construit en une suite de distiques entremêlant anglais et français. Le titre est dit par une voix masculine et le premier vers « from here to eternity : there’s no back » est prononcé par une voix féminine (Maja Nousianen) qui appelle une voix masculine (Léopold Pélagie) en français : « ma nuit est longue et mon jour aussi ».
Béla Czuppon, directeur de la Baignoire, annonce la fin du jour : « il est temps que ça finisse », comme pour en quelque sorte faire se rejoindre texte et émission.
A chaque auteur sa mélopée, sa mélodie. Marie Reverdy a choisi à partir d’une autre pièce de Patrick Kermann, Les tristes champs d’asphodèles, dans une citation de la dernière didascalie du texte, la mention d’un titre cher à l’auteur : The shape on the ground de Rodolphe Burger. Ultime voix d’une ballade mélancolique. Un homme est mort, il est parti.
Marie Du Crest
On peut retrouver une note de lecture sur Vertiges dans La Cause Littéraire et l’émission en podcast : https://soundcloud.com/radio-clapas/pvc-emission-janvier-2018
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